Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de Teli

Chapitre Quatorze - Les Adieux Ardents

Un bûcher gigantesque crépitait à quelques mètres. Le regard perdu dans les flammes rougeoyantes, Jahia frémissait sous les douces vagues de chaleur.

- Que ta rencontre avec les Dieux soit , enfant Ewe. Puisses-tu, éclairé par leur sagesse, retrouver ton chemin vers les Terres fécondes de Shoara. t'illumines de sa chaleur ; que Nyame te berce avec douceur. Nous priions, Taye, pour que Teme et Majii te redonnent forme, et que Sama' te redonne vie. Va, cher enfant, et reviens-nous, respirant la vie que tu mérites.

Les membres de la tribu, entourant le tombeau ardent, se penchèrent en avant comme un seul homme. Les paumes jointes et doigts entremêlés, les Ewe adressèrent leurs adieux à la forme de Taye qu'ils connaissaient ; persuadés qu'il foulerait à nouveau leurs terres, sans qu'ils puissent le reconnaître.

Le corps de Taye disparut dans les flammes dévorantes. Encore un égard à une divinité, celle d'Hariq, esprit du feu. Taye avait été abandonné par les Dieux dans ses derniers moments, et une fois de plus, les Ewes le remettait à leur volonté divine. Jahia tenta de cacher son désarroi. Pourquoi tant de foi ? S'ils étaient dans le juste, alors, qu'avait bien pu faire ce jeune pour que les Dieux, faiseurs de destins, le condamnent à la mort ?

Les flammes chatoyèrent jusque tard dans la nuit, expirant une odeur de fumée plus acerbe que les autres. Autour du bûcher, la foule, petit à petit, se fit moins dense. Les Ewes rendaient hommage au défunt un à un, avec des mots réconfortants pour la famille.

- Taye était un brave jeune homme.

- Il reviendra en lion, j'en suis sûr. Par respect à sa force et son courage.

- Teme lui-même le recevra.

Jahia grinça des dents. Comment pouvaient-ils prétendre savoir tout cela ? Elle observa la famille de Taye, agenouillée devant le feu. Ses parents recevaient les condoléances avec un visage impassible. Liya était avec eux, pleurant doucement. Derrière, elle aperçut Amadi. Son visage exprimait une profonde tristesse... Et autre chose, aussi. De la culpabilité ? Jahia ne pouvait qu'imaginer. Elle ne savait pas comment elle réagirait, si un jour en mission, elle était incapable de garder Zuri et Peyam en vie. Elle secoua la tête comme pour repousser cette pensée et décida de quitter la cérémonie. Elle se sentait trop honteuse pour se joindre à ce qui lui semblait être une mascarade d'hypocrites. Elle marcha doucement d'abord, s'extrayant de la foule avec discrétion ; et accéléra le pas dès qu'elle fut aux abords du campement. Elle marcha dans la nuit, la chaleur suave émanant du bûcher et des gens s'estompant peu à peu. Elle pensait simplement aller se perdre dans les étendues de sables, mais elle passa devant la tente des Protecteurs. Elle entra sans se préoccuper d'être vue. Presque à l'aveuglette, elle attrapa un bâton de combat et rejoignit le terrain d'entraînement vacant. Là, dans le calme du désert nocturne, loin des pleurs et des cœurs brisés, elle s'adonna enfin à ses émotions. Jahia compris que sa colère envers tous ces gens présentant leurs condoléances, priant les Dieux et vénérant , était mal dirigée. La jeune fille prit pour cible un statue d'entraînement, faite de bois et de paille. Elle se sentait coupable. Elle donna un premier coup, le bâton de bois fendant l'air avec un son aigu. Elle s'en voulait d'avoir échoué. Elle envoya un coup de pied puissant contre la marionnette. Celle-ci trembla sous la force du coup, mais ne se brisa pas. Elle était en colère contre elle-même, contre son incompétence. Jahia recommença, accompagnant son geste d'un violent coup de bâton et d'un cri rauque. S'ils étaient arrivés plus tôt... Peut-être que... Elle roua le pantin de coups, tous plus forts les uns que les autres. Elle sentit soudain une présence derrière elle et retint sa prochaine frappe. Elle avait reconnu les pas de son visiteur.

- Ne crois-tu pas que cet épouvantail a eu son compte ?

Haletante, Jahia se tourna vers Abayo, non sans un regard vers sa pauvre victime.