Chapitre Quarante-deux - La marque de Sama'

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Alors que les premières étoiles apparaissaient dans un ciel encore à demi éclairé par un soleil invisible, les préparatifs pour une nuit de festivité se mettaient en place. Les membres de la tribu Yoruba s'activaient pour installer de grande planche de bois dehors, face au lac, et les recouvraient de nourriture. Une profusion de fruits mûres, de laitages parfumés et de viandes séchées chevauchaient les tables basses, accompagnés de théières fumantes. Les adolescents étaient équipés de lanternes en verre transparent et chargés de capturer les lucioles qui commençaient à se faire voir dans les buissons aux abords du campement. Bientôt, la nuit recouvrit le ciel de son manteau sombre constellé, et les lampions de lucioles, accompagnés de plusieurs dizaines de bougies, éclairaient la rive du lac de douces lumières chancelantes. Dans le ciel, la lune montrait timidement son premier croissant. Jahia comprit alors ce que les Yorubas appelaient « La renaissance de Nyame ». La veille, la lune avait disparue comme elle le faisait une fois par mois, marquant la fin d'un cycle lunaire. Ce soir, elle réapparaissait dans le ciel avec un croissant fin encore enroulé dans les pénombres de la nuit. La chamane Yoruba fit son apparition, coiffée de grandes plumes dans les tons vertes et bleus. Des plumes de paon, croyait reconnaître Jahia. Elle n'en avait vu qu'en dessin, dans les vieux livres de la hutte du savoir. Ces oiseaux majestueux ne vivaient pas dans le désert, ni dans les terres arides. Comment les Yorubas s'en étaient-ils procurés ? La chamane marcha vers le lac jusqu'à y tremper ses pieds nus, puis fit face à la petite foule silencieuse. Elle prit une voix douce mais forte, et commença à raconter une histoire. Elle plongeait son regard dans les nombreux yeux de son auditoire, et semblait entrer en communion à la fois avec la nature et avec chaque membre de sa tribu. Adultes comme enfants l'écoutaient dans un silence absolu, savourant chacun des mots qui sortaient de sa bouche.

« Vous connaissez tous la magnifique histoire d'amour d'Alsham, dieu soleil, et de Nyame, déesse lune. Ils s'aimaient malgré leurs différences et malgré la distance, d'un amour aussi chaleureux que les rayons d'Alsham, et aussi lumineux que les éclats de Nyame dans la nuit. Ils veillent depuis les cieux, chacun leur tour, sur le monde des hommes. Et, une fois par mois, Nyame s'autorise à quitter les cieux pour rejoindre son bien-aimé. »

De derrière la chamane, surgirent deux adolescents, l'un vêtu de doré, et l'autre d'argenté. Ils mimaient l'amour des deux divinités, sous les rires attendris du publique.

« Un jour, la cadette de la fratrie enfantée par les Dieux Parents, se trouva esseulée après avoir été rejetée des jeux de ses deux frères, Teme et Majii. Sama' erra dans le ciel, à la recherche de quelque chose pour combler son ennui. Elle aimait observer les hommes à qui elle avait insufflé la vie. Elle aurait voulu descendre de l'immensité tour à tour noire et bleue, et arpenter la terre comme ses créations. Mais ses parents disaient que les hommes devaient apprendre à être indépendants, et que les Dieux ne devaient plus intervenir. Espiègle, Sama' se dit que ce soir, personne ne régnait sur le ciel, et que la Terre était ainsi laissée sans surveillance. »

« Désobéissant aux règles divines, Sama' descendit sur Terre, légère comme une plume. Pour ne pas interférer avec la vie humaine, elle prit la forme d'une girafe. Dotée ainsi de longues pattes, elle parcouru un morceau des Terres de Shoara. Elle se promena aux abords de campements humains avec curiosité, gouta les feuilles des baobabs en imitant les autres animaux, et s'abreuva aux oasis en savourant pour la première fois la création de son frère Majii : l'eau. Elle aima la vie sur Terre. Puis elles s'éloigna des tribus pour se délester de cette forme animale et retrouver son apparence propre de déesse : une lumière vaporeuse. »

Maintenant, une jeune fille toute de blanc vêtue imitait une déesse inspectant son environnement sur la pointe des pieds. Son regard s'arrêta sur la foule attentive.

« Mais elle fut surpris par une autre tribu. Les Yorubas voyageaient plus au sud et virent sa lumière étincelante de loin. Sur terre, peu habituée à cette vision terrestre limitée, la déesse ne les avait pas vu approcher. Découverte, elle décida de faire connaissance avec ces hommes. Elle modela son apparence à leur image pour paraître moins intimidante, et passa la nuit à échanger avec les hommes ; et se lia d'amitié avec la tribu. »

« Au petit matin, alors qu'Alsham pointait le bout de son nez, Sama' conclut un pacte avec la tribu Yoruba. Elle leur offrit un bout d'elle-même et leur fit promettre de le porter avec eux pour toujours ; afin qu'une part d'elle voyage avec eux et continue de voir le monde et la vie à travers leurs yeux. Puis elle s'empressa de retourner auprès des siens avant que les Dieux des cieux ne remarquent sa présence sur terre. »

« La nuit suivante, Nyame refit son apparition dans le ciel et un nouveau cycle se mit en route. Mais celui-ci, et les suivants, seront à jamais différents des précédents : les Yorubas portaient désormais la marque de Sama'. » 



Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant