Chapitre Trente-Cinq - Tête de chameau

7 3 6
                                    

Dix-sept ans plus tôt.


Une chaleur étouffante régnait sous les tentes, mais elle était encore plus mordante au-dehors. Epuisée par la chaleur, Jahia était étendue à même le sol, cherchant un peu de fraîcheur contre la terre battue. Celle-ci était à peine tiède... La petite fille n'avait même plus la force de jouer avec la statuette en bois qui ne la quittait plus. La girafe sculptée qui gisait à quelques pas, la dévisageait avec indifférence.

- Tiens, bois.

Abayo tendit à l'enfant une tasse fumante. Du thé à la menthe. Jahia adorait habituellement cette boisson, douce et sucrée. Mais elle avait trop chaud pour avaler quoique ce soit. Elle secoua mollement la tête en grognant.

- Je sais que ça n'en a pas l'air, mais le thé va te rafraîchir. Bois, insista Abayo en posant la tasse par terre, près de l'enfant.

Jahia ne bougea pas d'un pouce. A côté, Cheyma, elle, sirotait sa boisson posément.

- Cela va faire cinq semaines qu'il n'a pas plu. Cet air sec devient insoutenable, se plaignit-elle.

Abayo approuva.

- Nous sommes face à un dilemme. Nous pourrions reprendre la route plus tôt que prévu pour atteindre l'oasis Upepo... mais elle est à au moins une semaine de marche, et déroger à l'itinéraire serait mal vu. Attendre ici que la pluie tombe enfin, nous permet d'économiser nos forces.

- Mais les plus faibles risquent d'en pâtir, s'inquiéta la grand-mère avec un regard vers Jahia.

- Ne t'inquiète pas pour la petite, répliqua Abayo d'une voix rassurante. Elle est plus costaud qu'elle n'en a l'air. Et elle a vu bien pire !

- Certes...qu'en pense Kiongozi Nabil-Obi ?

Abayo soupira en trempant une étoffe propre dans une bassine d'eau tiède vieille de quelques jours. Il l'essora avant de mouiller le visage de Jahia. Le tissu n'était même pas frais.

- Kiongozi Nabil-Obi a fait appel au conseil pour prendre une décision. Jamahni pense qu'il faut préserver nos forces et prier Majii pour faire tomber la pluie. Atepah et Ambe sont d'avis de prendre la route.

- Et toi ?

Abayo hésita un instant.

- Je crains que nous déplacer et ignorer l'itinéraire convenu avec les tribus sœurs soit un faux pas diplomatique.

- Même si cela décime nos faibles ? Insista Cheyma qui, visiblement, désapprouvait.

- Les faibles ne survivraient pas à un voyage de plusieurs semaines. Au vu de l'épuisement, nous avancerions plus lentement qu'habituellement. Les bêtes demanderont des pauses plus régulières. Sans compter que l'oasis Upepo se situe sur un plateau, et demandera de l'effort pour grimper la pente.

Cheyma soupira à son tour.

- Il y aurait du vent, dit-elle d'une voix rêveuse.

- De l'eau, de l'ombre et du vent, oui, répéta Abayo avec regret. Jahia, bois ton thé.

La petite fille geignit de désapprobation.

- Que cette enfant est têtue, râla Abayo en s'approchant et relevant Jahia pour l'assoir. Tu vas boire !

- Doucement, Abayo. Tu es sur les nerfs.

Brusquée, Jahia était contrariée. Depuis le matin, elle était d'une humeur terrible. Elle avait encore vu les yeux jaunes pendant la nuit. Et Mama lui manquait. Elle avait chaud, et elle s'ennuyait, et elle voudrait apprendre à combattre avec Ambe et les autres enfants. Elle voulait revoir la petite fille à l'arc. Elle avait tant de choses à dire, mais rien ne passait jamais ses lèvres.

Vexée, irritée, tendue, elle inspira une fois profondément puis retint sa respiration. Elle avait l'impression que c'était son seul moyen d'exprimer son mal-être.

- Là, et qu'est-ce que tu nous fait, maintenant ? Très bien, ne bois pas, déshydrate-toi et on en reparle dans une heure, grommela Abayo, exaspéré.

Il resta assis près de Jahia et se resservi une tasse de thé chaud. Jahia le fixait de ses grands yeux sombres expressifs, les joues gonflées.

- Bon, il serait peut-être temps de respirer, maintenant ?

Le visage de Jahia virait au rouge.

- Eh, arrête, maintenant. Ce n'est pas un jeu.

L'enfant commençait à ressentir des difficultés, mais elle tint bon et se refusait toujours à inspirer.

- Jahia !

Abayo la saisit aux épaules et lui ordonna de respirer une fois de plus. Jahia entendait la panique dans sa voix. Cheyma approcha d'un pas tranquille. Elle posa une main rassurante sur l'épaule d'Abayo, puis prit Jahia dans ses bras et la serra fort.

- Allons. Ce n'est pas comme ça qu'on règle les problèmes, petit fennec.

N'en pouvant plus, Jahia ouvrit la bouche et inspira bruyamment. Les épaules d'Abayo s'affaissèrent de soulagement. Jahia retrouva peu à peu un rythme cardiaque raisonnable tandis que la vieille femme la berçait tendrement. Cheyma porta ensuite la tasse de thé à ses lèvres et souffla un peu dessus, faisant danser les fumées brûlantes.

- Bois, maintenant. Je sais qu'il fait chaud, mais cela va t'aider.

Jahia obtempéra finalement. La première gorgée lui brûla la langue, mais elle s'efforça de finir la tasse sous le regard désabusé d'Abayo.

- Quelle tête de chameau.

Jahia rit face à la frustration de l'homme. Après l'avoir foudroyée du regard, il rit avec elle, et la bonne humeur envahit à nouveau le cœur de l'enfant.


Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant