Chapitre Trente-huit - Confiance

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Enveloppée dans sa melafah rouge vif, Jahia maintenait le tissu contre son visage, pour se protéger des rafales de sables que leur envoyait le désert en colère. Pris dans des vents sablonneux, les trois Protecteurs avançaient péniblement. La chaleur était insupportable, et Jahia rêvait du temps où les pluies tombait régulièrement. Pour couronner le tout, la nouvelle Emissaire ne sentait pas aujourd'hui ce lien fort qu'elle avait habituellement avec son détachement. Peyam et Zuri étaient étrangement silencieux depuis leur départ. Ils avaient tous fait leurs aux revoir à leurs familles et avaient rendu ensemble une dernière visite au Kiongozi pour se retirer. Ils avaient ensuite équipés et enfourchés leurs chevaux, se préparant à de longues journées de voyages. Jahia n'avait pas eu le temps de beaucoup parlé avec eux, ils avaient été rapidement rattrapé par ces restes de tempêtes de sables, qui coupait toute communication entre eux. Impossible d'ouvrir la bouche sans avaler le désert en entier. Les trois voyageurs progressèrent entre les dunes lentement pendant des heures. Puis enfin, petit à petit, le vent se déchargeait de son sable. Les dunes se firent plus petites et finirent par disparaître, pour laisser place à de grandes étendues de terres sèches parsemées de cactus, d'acacias épineux et de rares baobabs. Des crètes rocheuses en grès se dressaient à l'horizon, sur lesquels se perchaient des vautours, babillant leurs chants macabres avec enthousiasme. Les Protecteurs purent finalement se défaire de leurs voiles et respirer plus confortablement.

- Qu'est-ce qui vous chiffonne, tous les deux ? S'empressa de demander Jahia.

Elle tenta d'accrocher le regard de Zuri, qui haussa simplement les épaules sous ses prunelles insistantes. Contrariée, Jahia leva les yeux au ciel.

- Peyam ?

Le jeune homme répondit sur la défensive.

- Rien !

- Oh, allez ! Je vous connais, et je sais reconnaître quand vous avez quelque chose à dire. Crachez le morceau.

Peyam n'avait jamais été très patient, et il ne fallut pas lui répéter deux fois.

- Comment ne nous l'as-tu pas dit ? On se raconte tout !

- C'est vrai, renchérit Zuri en marmonnant.

- Quoi ?

- Tu as décidé qu'on ne méritait pas ta confiance ? Qu'on était pas assez haut-placés ? S'insurgea Peyam, parti dans une grande tirade.

- Pour l'amour d'Alsham et Nyame, mais de quoi parlez-vous ?

Les deux amis en colère échangèrent un regard, à la fois perplexe et rancunier.

- La guerre, Jahia, répondit Zuri d'une voix tranchante.

- L'avenir de la tribu, c'est le nôtre aussi, justifia Peyam.

Jahia percuta enfin. Comment n'avait-elle pas deviné ?

- Zuri, Peyam, commença-t-elle en assurant un contact visuel avec chacun d'entre eux. Je ne le savais pas non plus.

Le jeune homme arqua un sourcil.

- Tu sais tout du travail d'Abayo. Tu ne vas pas nous dire qu'il ne t'a pas raconté ça ? Alors qu'on est à l'aube d'un conflit et que tu t'apprêtes à lui succéder ?

Il y avait trop de fausses accusations dans cette phrase, Jahia leva la main en signe d'apaisement.

- Une seconde. D'abord, Abayo est encore en pleine forme et occupera sa place au sein de la tribu pendant encore de longues années. Je ne suis pas prête de lui « succéder ». Ensuite, il a un grand sens du devoir. Même s'il me forme depuis des années et me parle beaucoup de ses entrevues avec le Kiongozi ou les tribus sœurs, il ne divulgue que ce qu'il a le droit de révéler. Ces tensions diplomatiques sont des informations bien trop cruciales ! Il ne m'en avait rien dit ; je l'ai appris dans la tente du Kiongozi, tout comme vous.

Elle insista sur ses dernières paroles. Un peu vexée de ces accusations et de cette soudaine défiance, elle resta silencieuse un instant. C'était vrai... depuis des années, depuis qu'ils formaient un département, ils se disaient tout. Pourquoi pensaient-ils que cela avait changé récemment ? Ses deux amis semblaient lentement intégrer ses paroles. Zuri penchait la tête de côté, comme lorsqu'elle n'était plus dans son environnement et devait faire un effort social.

- Oh.

- Si j'avais su... pourquoi êtes-vous si sûrs que je vous l'aurais caché ? S'enquit Jahia, qui percevait le malaise chez ses camarades.

Ils semblèrent hésiter.

- Eh bien, il y a beaucoup de choses qu'on ne sait pas de toi, Jahia, murmura Zuri, que la sérénité maîtrisée avait regagnée.

- Pendant des années, il y a des choses que tu ne nous a pas dites. Rien ne nous dit que ce n'est pas toujours le cas, compléta Peyam.

Les deux l'observaient d'un regard grave, mais la rancune avait disparue. Seule une once d'incompréhension ombrait leurs regards. Jahia soupira.

- C'est au sujet de... de mes origines, c'est ça ?

Peyam hocha vigoureusement la tête, tandis que Zuri lui garantissait qu'elle n'avait pas à révéler son passé pour maintenir leur amitié. Mais Jahia su qu'il était temps, il était temps qu'elle donne des détails. Leur amitié n'était peut-être pas en jeu, mais cette confiance totale et mutuelle qui les accompagnait depuis leurs premières missions et garantissait leurs succès ; l'était.

- Très bien. Ecoutez bien, car je ne le dirais qu'une fois, dit-elle d'une voix autoritaire.

Peyam tira sur les rênes de son cheval pour s'approcher et observa Jahia avec de grands yeux curieux. Il était littéralement pendu à ses lèvres.

- Peyam, arrête de la regarder comme un bouillon de mouton fumant, réprimanda Zuri d'une voix égale.

Jahia ne put s'empêcher de rire de la comparaison, et l'atmosphère se fit enfin un peu plus légère. La jeune Emissaire prit une grande inspiration, se força à détendre ses épaules tendues, et commença son sombre récit.


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Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant