Chapitre Trois - Grand-mère, raconte encore une histoire

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Jahia voulait rendre visite à Cheyma, la doyenne de la tribu, avant que le soleil ne se couche. Une fois devant l'une des plus grandes tentes entourant celle du Kiongozi, elle toussota pour manifester sa présence. Alors qu'elle ouvrait la bouche pour s'annoncer, la voix chevrotante de Cheyma retentit derrière les pans de toiles.

- Entre, ma petite !

Jahia se faufila dans la tente et passa le rideau d'ossements et de crocs qui marquait l'entrée.

- Protectrice d'Argent, dit-elle en se courbant à demi.

C'était un signe de respect qui était dû aux hauts membres de la tribu. La vieille femme se leva péniblement de son tabouret de bois et signa à Jahia de cesser ces manières. Jahia afficha un sourire amusé et vient enlacer la petite femme dans ses bras.

- Comment vas-tu, Grand-Mère ?

- Toujours pareil, rien d'intéressant de mon côté, dit la vieille femme avec une voix chevrotante. Raconte-moi ton voyage.

Jahia commença par décrire les couchers de soleil sur les dunes de sables, comme à son habitude. Cheyma ferma les yeux pour laisser les paroles de Jahia prendre vie sous ses paupières : les couleurs pastel du ciel devenir vives et éclatantes, et Alsham descendre doucement dans le ciel pour s'étaler, l'espace de quelques secondes, sur les étendues sablées comme si elles étaient son lit ; Nyame monter dans le ciel en même temps que les températures descendaient, faisant frissonner les voyageurs ; le vent, fouetter les robes de voyages des deux passagers contre leurs peaux; les grains de sables portés par les bourrasques, qui picotent le visage mais qu'on ne sent même plus, par habitude. Jahia partagea sa rencontre avec un fennec, un soir, près de la tente plantée au milieu du désert. L'ancienne écarquilla ses yeux clairs en affirmant que c'était Suhra qui guidaient leurs pas. Puis vint le tour de la vie éclatante du bazar : les gens, les couleurs, les histoires. Jahia raconta qu'un voyou avait essayé de voler son sac, fermement accroché sur le dos de Malàk, en passant discrètement derrière l'animal. Le dromadaire avait choisi son moment pour déféquer sur le malheureux. Les deux femmes rirent à gorges déployées.

- Que cela me manque ! Galoper à dos de cheval, camper dans le sable, visiter les caravanes marchandes. Mes vieux os sont coincés ici maintenant, toujours dans une tente ou sur le dos d'un dromadaire paresseux.

Jahia promit qu'un jour, elles échapperaient à la surveillance d'Abayo pour galoper librement en terres inconnues. Les deux complices furent interrompues par des pas près de l'entrée de la tente. Abayo souleva un pan et passa la tête.

- Ah ! Je savais que je vous trouverais là toutes les deux, à conspirer ensemble.

Les deux femmes se regardèrent d'un air innocent et entendu. Abayo ria et entra dans la grande tente à pas doux.

- Bonsoir Mama, dit-il en venant embrasser Cheyma sur le front.

Il s'assit en tailleur, auprès des deux seules femmes de sa vie.

Aux mots d'Abayo, Jahia déduisit avec surprise que la nuit tombait déjà. Elle passait toujours tant de temps à raconter à Cheyma les merveilles de ses voyages. La vieille femme était autrefois Protectrice des Ewes, tout comme Abayo et Jahia aujourd'hui. Fut un temps, elle parcourait les terres, chassait et affrontait la nature, elle aussi. Mais les années faisaient leur travail, et la vaillante femme était désormais contrainte à la prudence et au calme. Abayo avait apporté une outre de vin frais et des amuse-bouches composés d'olives, de pain sec, de fromage et de viandes fumées. La petite famille dégusta en racontant des histoires, et terminant le repas sur la touche sucrée des bonbons citronnés.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant