Chapitre Quatre - Les Premiers Hommes

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Dix-sept ans plus tôt.


L'ambiance au sein de la tribu avait changé.

Les Minas avaient levé le camp en urgence et marchaient depuis des jours en direction de l'est. Jahia se sentait exclue. Ni les enfants ni les adultes ne lui adressaient la parole. En revanche, les regards lourds et les grimaces pleuvaient. Même Babu gardait ses distances, et les seuls mots qu'il avait pour elle était durs et secs. Isolée dans la carriole tirée par un âne, entourée de sacs et de paniers, Jahia avait tant pleuré qu'elle n'avait plus de larmes. Plusieurs fois, au cours des pauses pendant le voyage, les membres de la tribu s'étaient réuni, sa mère comprise, la laissant seule. Ils débattaient vivement, mais en prenant toujours soin que le sujet de discussion n'atteigne pas les oreilles de Jahia. Mais la petite fille n'avait pas besoin d'être un génie de la montagne pour savoir qu'ils parlaient de sa punition. Sa mère en revenait toujours bouleversée.

- Comment peux-tu les laisser dire cela, Baba ? S'était-elle énervée une fois, des larmes dans la voix.

Elle avait ensuite remarqué le regard inquiet de Jahia, et avait travaillé à retrouver une expression sereine. Cependant, la petite fille n'était pas dupe.

Après dix-huit journées interminables de voyages, et autant de nuits de torpeur contemplées par une paire d'yeux jaunes, Jahia sentit les roues de la charrette freiner sur le sol poussiéreux.

La tribu mit une journée à installer le campement, en silence. L'atmosphère était lourde, les gens effrayés. De là où les Minas établissaient leur camp, Jahia pouvait apercevoir le Mont Kimungu s'élever vers le ciel, et pénétrer les nuages. La montagne gigantesque semblait onduler sous la distance et la chaleur. Ils n'étaient donc plus si loin du massif montagneux au centre des Terres de Shoara. Peut-être se rendaient-ils à la Chama ? Cet évènement avait lieux une fois par an : les Viongozis de chaque tribu se rassemblaient pour parlementer de choses d'adultes. Jahia était trop petite pour savoir à quelle période de l'année ils étaient.

Le campement fut établi étonnamment vite. Seules quelques tentes basiques pointaient vers le ciel, les plus grandes et plus complexes étaient restées à l'état de tissus roulés et de bâtons couchés. Le grand bûcher qui était d'habitude allumé au centre du camp, entouré de grosses pierres pour éviter tout débordement, brillait par son absence. Seules quelques torches avaient été allumées et plantées dans le sol argileux pour combattre l'obscurité de la nuit.

Jahia n'aimait pas cette atmosphère. C'était étrange. Le silence, le campement monté à la va-vite, cet air de « pas fini » ... Quelque chose clochait. Alors que le regard aiguisé de la petite fille surveillait les moindres faits et gestes des membres de la tribu Mina, elle remarqua une forme particulière à l'horizon. En marge du campement, des adultes construisaient une autre sorte de tente. Une tente, non... Des rondeaux de bois étaient soulevés puis attachés ensemble, et des fagots de pailles étaient soigneusement placés au-dessus pour faire un toit. La tribu construisait une petite cabane. Jahia eut un frisson d'effroi. Les nomades vivaient dans des tentes depuis des temps immémoriaux, c'était toujours ce que disait Babu. Une cabane était construite lorsque le chamane Mina souhaitait s'adresser aux dieux. C'était une cérémonie divine qui devait rester privée, cachée aux yeux du commun des mortels. Seuls des personnes respectées ou concernées par le tourment en question, pouvaient assister à l'évènement. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Sous l'effet de la tension qui montait dans sa poitrine, Jahia grinça des dents.

- Eh bien, ma grande. Quelle est cette mine si sérieuse ?

Au son de cette voix douce et familière, Jahia sentit la pression se relâcher un peu. L'enfant leva le bras lentement et pointa du doigt la silhouette en construction. À la dérobée, elle observa avec attention les traits de sa mère. Son changement d'humeur fut maîtrisé et presque imperceptible, mais ses yeux s'assombrirent. Elle avait l'air si triste, et Jahia s'en voulut. Najwa se glissa aux côtés de sa fille, dans la charrette étroite. Elle l'enlaça dans ces bras.

Coeur Nomade T1 : Le Mystère des Ruines de TeliOù les histoires vivent. Découvrez maintenant