Chapitre 5

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Le réveil est aussi pénible pour moi qu'un lendemain de cuite. Je n'ai presque pas dormi, écoeurée par mes tourments étourdissants. J'écarte de mon esprit les souvenirs de la veille, mais ils me reviennent douloureusement en pleine tête tel un élastique trop tendu. Malgré cela, je dois affronter cette journée en essayant de mettre de côté ma dispute avec Alix et ce site d'enchère ou je suis encore affichée comme un vulgaire objet.

Une fois prête, je prends mon sac de cours et me rends compte que je n'ai rien préparé. Toutes mes révisions sont éparpillées sur mon bureau alors qu'en temps normal tout aurait été rangé et soigneusement classé pour le lendemain, m'évitant ainsi toutes sources de stress inutiles. Je me sens perdue, prisonnière dans la tornade Alix, une tornade qu'elle-même ne pourrait stopper!

J'enfouis à la hâte mes affaires de cours et descends deux par deux les marches de l'escalier avant de sortir en prenant soin de fermer la porte à clé.

Mes parents ont déjà quitté la maison de bonne heure. Ils tiennent une charmante boulangerie qui résiste encore et toujours aux envahissantes grosses chaines industrialisées qui poussent de partout en écrasant les petits commerces du coin. Heureusement pour nous, ils ne détiennent pas les fameuses recettes de ma mère et le savoir-faire de mon père qui font que chaque matin, les papilles des habitants de ce village pittoresque sont gâtées à souhait. Les gens préfèrent de loin débourser un peu plus pour déguster leurs délicieuses pâtisseries et viennoiseries plutôt que de dépenser un centime pour manger leur pain insipide fait par une machine.

Le seuil de la porte une fois franchi, j'insère mes écouteurs au creux de mes oreilles et embellis le monde par mes musiques. Une vieille habitude que j'ai prise pour tenir les gens à bonne distance et ne pas avoir à faire la conversation à qui que ce soit. Je me dirige ensuite vers l'arrêt de bus se trouvant à deux pas de chez moi, quand je vois un mec assis sur mon banc ordinairement vide à cette heure.

Et merde... pense l'insociable que je suis.

Je m'approche lentement en essayant de ne pas rentrer dans son champ de vision, mais son visage finit par tourner dans ma direction.

— Bonjour ! lance-t-il avec un sourire bienveillant.

J'hoche la tête en réponse et lui rends un sourire crispé avant de lui montrer de mon index l'oreillette dans mon oreille pour qu'il me fiche la paix. Il lève les sourcils et détourne le regard. Je sens qu'il me juge, mais ça m'est égal...

Une pensée s'insinue sournoisement dans mon esprit, et s'il n'était pas là par hasard ? Et s'il avait vu l'annonce et venait reluquer la marchandise ? Je me pose ces questions légèrement paranoïaques le dévisageant discrètement pour analyser ses intentions. Il sort son téléphone de sa poche et porte toute son attention dessus ce qui me permet de le lorgner en cachette.

Il a l'air d'être un garçon simple et adopte une posture décontractée. Il a un teeshirt noir à l'effigie d'un groupe de rock, un jeans bleu foncé et n'a ni bague ni bijoux mis à part une montre connectée. Je me focalise alors sur son physique de profil et lui trouve beaucoup de charme pour un pseudo pervers potentiellement infiltré. Ses cheveux mi-longs noirs se dégradent autour de son visage fin à la peau mate. De longs cils entourent ses yeux marron légèrement bridés et sa bouche, bien que peu charnue, est parfaitement accordée avec le reste.

N'ayant pas remarqué mon regard inquisiteur, j'entreprends de jeter un coup d'œil à son écran pour vérifier qu'il ne soit pas sur le site d'enchère. Paranoïa quand tu nous tiens... je recule alors pour m'adosser à mon tour contre la paroi en plexi glace de l'abri en étirant mon cou vers la droite lorsque soudain celle-ci se décroche et me fait basculer en arrière avec elle. Je me retrouve étalée à terre.

— Rien de cassé ? Demande l'inconnu au-dessus de son épaule sans détourner le regard de son portable.

Je m'assois et frotte mes mains l'une contre l'autre pour faire tomber les petits gravillons noirs incrustés dans mes paumes râpées. La brulure fait ressurgir alors un souvenir d'enfance. Je me revois en train de faire du Rolleur pour la première fois, me rétamer et ne plus en avoir refait depuis...

— Non, ça peut aller.

Je réponds confuse et quelque peu honteuse.

— Désolé j'aurais pu t'aider, mais mon jeu est tellement plus passionnant... Sur ce, salut! finit-il avec satisfaction en s'éloignant.

Ok, je l'ai mérité...

Je me relève et ramasse mes écouteurs au sol avant de m'épousseter, puis lève le menton et remarque le car arrêté et ses passagers aux visages moqueurs en train de me dévisager. Malheureusement pour moi, ce bus est le mien et je vais devoir affronter cette nouvelle épreuve ainsi que toute cette satanée journée qui m'échappe complètement... 

Priceless'GirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant