54. Powerless

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"Il y a un apaisement au fond de toute grande impuissance."

Marguerite Yourcenar

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Yaël

J'avais l'impression que les journées passaient au ralenti. J'étais comme sur pilote automatique répétant les mêmes gestes chaque jours. Je me levais le matin, je me préparais, déjeunais trois fois rien avant de me rendre à l'université pour assister à mes cours qui ne ressemblaient plus qu'à un brouillard de brouhaha indistinct. Puis je rentrais chez moi, dînais en famille dans cette ambiance étrange d'inquiétude et montais dans ma chambre, échangeais quelques messages avec Swann avant de me coucher, essayant tant bien que mal de trouver le sommeil. Et cela durait depuis une semaine.

Swann me manquait terriblement. Pendant les deux semaines qu'il avait passé à la maison, je m'étais habitué à sa présence, un peu trop habitué. Evidemment on s'appelait et on s'envoyait des messages régulièrement mais ce n'était pas pareil que de l'avoir tout contre moi, de passer ma main dans ses cheveux et masser son crâne pour qu'il se détende, de respirer son odeur, de pouvoir entrelacer mes doigts aux siens et me pencher pour goûter ses lèvres.

Aujourd'hui la maison semblait vide, même si elle était toujours animée par ma petite sœur, c'était comme s'il lui manquait un de ses membres. Ne plus pouvoir m'endormir avec le corps de Swann dans mes bras, ne plus pouvoir l'embrasser à chaque occasion, ne plus essayer de le faire sourire et voir ses yeux se plisser comme un enfant dès que ses lèvres se relevaient, tout ça me manquait. J'avais trop rapidement fait de sa présence une routine qui n'était finalement qu'éphémère.

Mais je comprenais sa décision. Et je la respectais. Ce genre d'évènements, de traumatisme, chacun le gérait à sa façon, et lui avait visiblement besoin de s'évader un temps. Evidemment, j'étais triste de ne pas pouvoir le réconforter moi-même comme j'avais tant pris l'habitude de le faire, mais je comprenais son besoin de s'éloigner, et de retrouver sa tante. Il avait besoin d'elle aussi, elle était sa famille, la seule qui lui restait. Et c'était normal qu'il ait besoin de prendre du recul, après tout ce qu'il avait vécu au cours de ces dernières semaines, je ne sais pas comment il réussissait à ne pas exploser. A sa place, je me serais déjà effondré. Je ne pouvais pas imaginer que tout mon monde s'écroule comme ça, en un claquement de doigts, à cause de parents ignobles et d'un ami bon à jeter en prison.

J'étais particulièrement en colère face à cette situation. Mais je savais que, pour Swann, la tristesse et l'impuissance prenaient le pas sur sa rage, même s'il devait tout de même la ressentir bouillonner au fond de lui. Pour l'instant il avait besoin de respirer, et d'accepter ce qui s'était passé. Il avait besoin d'aller mieux, de guérir, et je savais que Cheryl serait un soutien indéfectible pour lui.

Et j'espérais que Swann puisse se relever et sortir la tête de l'eau. Il était fort, Swann, et il avait été extrêmement courageux, mais il s'agissait tout de même d'un traumatisme qui resterait ancré en lui. Alors j'espérais sincèrement qu'il puisse revenir plus fort et affronter ensuite la bataille qui nous attendrait, parce qu'il était hors de question que je laisse cet acte impuni. C'était impossible. Je ne laisserai pas Hugo s'en tirer comme ça pour avoir fait autant de mal à Swann, des pires façons possibles. Ce type me dégoûtait.

Devoir croiser Hugo au détour d'un couloir, le voir se pavaner sur le terrain de foot, remarquer son regard mesquin et son rictus sardonique, faisait remonter en moi une rage que je n'avais encore jamais éprouvée pour personne. Le voir là, si fier, si inatteignable avec tout le monde à ses pieds me bouffait. Il avait bousillé la vie de quelqu'un et il n'en semblait pas plus perturbé que ça, continuant à mener la sienne sans être inquiété, vantant même son succès et sa nouvelle position de capitaine au sein de l'équipe. Et sa cour l'acclamait, se prosternait devant lui, en oubliant trop rapidement les blessures sur ses jointures qui témoignaient de la violence dont il avait fait preuve envers Swann.

FALLINGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant