60. Fly Away

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"Je n'aimais pas regarder en arrière, et j'abandonne au loin mon passé, comme l'oiseau, pour s'envoler, quitte son ombre."

André Gide

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Swann

Yaël était beau. Dans ma chambre, adossé à ma tête de lit, un crayon à la main, concentré sur son bloc à dessin, il n'avait rien besoin de plus pour attirer mon attention. Je ne voyais que lui, ses yeux sombres étincelants rivés sur sa feuille, ses cheveux noirs dont une boucle retombait sur son front, ses lèvres qu'il torturait, les mordant à mesure qu'il faisait courir son crayon sur le papier. Il était beau.

Installé en face de lui, mon dos posé contre le cadre de lit, cela faisait plusieurs minutes que je l'observais, que je ne parvenais pas à détacher mes yeux de mon petit-ami. En réalité cela faisait plusieurs minutes que je faisais semblant de travailler. Mon ordinateur posé sur les genoux, j'étais censé finir un devoir pour un de mes cours de politique. J'avais à peine retenu quel était le cours exact, ce n'était pas bien important et ça revenait au même, ils étaient tous mortellement ennuyeux.

Yaël était une bien meilleure distraction. Je préférais largement laisser mes yeux redessiner sa silhouette, inspecter chaque détail de son visage et examiner chacun de ses mouvements. Les sourcils froncés, il s'appliquait. Ses traits de crayons semblaient précis, réguliers, expérimentés.

Cela devait bien faire une heure qu'il ne m'avait plus accordé une seconde d'attention. Il restait obstinément concentré sur sa feuille, ne me lançant que quelques brefs regards de temps en temps. Moi, je n'arrivais plus à travailler, pas quand j'avais l'adorable homme que j'aimais devant moi. Et, aussi beau était-il, je commençais à m'ennuyer, désirant désespérément qu'il se préoccupe de moi. Une idée bien plus alléchante que ce maudit devoir de politique.

Et puis ce dessin qu'il était en train de perfectionner m'intriguait. Ses dessins, qu'il ne m'avait plus montré depuis que nous étions petits, m'intriguaient. Je n'avais toujours pas eu l'occasion de mettre le nez dans ce bloc qui renfermait ses œuvres. Et aujourd'hui, alors que la motivation avait quitté chaque parcelle de mon corps, semblait être le moment rêvé.

— Tu dessines quoi ? lançai-je soudainement, d'une voix presque enfantine.

Je n'eus pour seule réponse qu'une légère œillade. Quelques secondes, c'est tout ce que j'obtins de ses yeux, une attention bien trop insuffisante pour moi. Et ce sourcil haussé ainsi que son petit sourire malicieux me rendaient encore plus curieux. Je voulais savoir, et je savais que le gamin insupportable, impatient, insistant et légèrement ennuyant en moi allait ressortir. Et Yaël le savait très bien aussi.

— Allez, montre-moi, insistai-je en faisant trainer la dernière voyelle, capricieux.

Toujours ce même sourire. Aucune autre réaction à part ce coup d'œil, ce regard de défi. Un défi que je relevai bien volontiers. J'obtiendrais ce que je voulais.

Alors, d'un mouvement brusque et soudain, j'attrapai mon ordinateur, encore sur mes genoux, et le posai un peu plus loin. Je n'attendis ensuite pas une seconde de plus pour me hisser sur mes bras et glisser jusqu'à Yaël, grimpant sur lui. Mes jambes de part et d'autre de son corps, je l'écrasai délibérément pour qu'il ne bouge plus, pour qu'il ne se dérobe pas sous mon assaut, même s'il ne semblait pas s'en plaindre.

Je tendis vivement mon bras vers son carnet, dans le but de lui voler, cependant Yaël sembla anticiper mon mouvement puisqu'il retira rapidement son bras, levant son bloc à dessin haut au-dessus de ma tête et me retenant de son autre main pour être certain que je ne l'atteindrais pas. Je luttai pourtant, mais Yaël paraissait déterminé à ne pas me laisser l'emporter.

FALLINGOù les histoires vivent. Découvrez maintenant