— Je t'aime.
La première fois qu'il avait pensé cette phrase à l'égard de Yann, Victor n'avait même pas osé songer la dire réellement. Elle laissait encore aujourd'hui parfois comme un goût irréel sur ses lèvres. La saveur pimentée de ces trois puissants mots consumait sa peau. Mais ces quelques lettres innocentes étaient devenues, au fil des jours et des souvenirs, une évidence qu'il répétait comme un mantra, une prière, un doudou qu'il agitait. D'une première fois fantasmagorique, il était passé au soupir habitué, pareil au zéphyr qui faisait crépiter le feu réconfortant d'une douce soirée estivale.
— Tu sais combien de fois tu me l'as dit aujourd'hui ?
Sa voix était douce, claire, sucrée. Yann, allongé sur son lit, la main passant sur la boule de poile blanche qui se tenait à ses côtés, souriait tranquillement.
— Huit fois... Et je crois que c'était simplement depuis le début de l'heure. Depuis le début de l'aprem, ça doit faire... Euh... Peut-être une bonne vingtaine de fois. Et je suis gentil, je ne compte même pas les messages.
— Ah, sûrement... Tu t'en lasses ?
— Oh, Victor... Voyons... Comment pourrais-je en avoir marre ? La personne que j'aime le plus me dit qu'elle m'aime. Qui serait assez fou pour se lasser ?
Victor esquissa un petit sourire. Vu comme ça...
— Et toi, tu m'aimes ?
— Bien sûr !
— Comment ?
Yann se redressa, laissant le petit félin. Il écarta les bras, les tendant au maximum.
— Comme ça !
— C'est petit... le taquina Victor.
— J'ai de grands bras, pourtant. Mais ils sont petits par rapport à mon amour. Viens.
— Pour ?
— Viens, c'est tout.
Derrière ses lunettes carrées, l'éclat de ses yeux redoublait d'intensité. N'écoutant que son instinct, Victor s'approcha de son petit ami, lentement, un air intrigué sur le visage. Alors qu'il était à portée de main, Yann se leva. Les bras du plus grand se refermèrent sur le dos de Victor, le collant plus près de son amoureux. Ce dernier huma son parfum ambré et grava la sensation de sa peau contre ses mains.
— Pour te montrer à quel point je t'aime, imbécile.
— Qu'est-ce que je t'aime, moi aussi...
— Vingt-et-une fois, rigola Yann.
L'étreinte se prolongea et se perdit dans une myriade de murmures passionnés. Le temps n'avait plus d'emprise sur ces deux âmes éprises. Rien ne semblait en mesure de casser cette vague d'amour ; et pourtant, il fallut bien y mettre un terme. Les deux garçons se reculèrent. Yann s'installa de nouveau sur son lit :
— Même être debout commence à me demander des efforts... C'est vraiment chiant.
— Tu prends tes médicaments ?
— Ouais...
— Alors pourquoi la boîte est vide depuis hier ?
Yann détourna le regard vers la petite boîte. Son cadavre éventré agonisait sur la table de nuit. Le blond souffla.
— Je viens de la finir.
— Menteur. Je suis passé hier et elle était déjà vide.
— Tu comptes les médicaments que je prends ? s'indigna Yann. Depuis quand est-ce que tu fouilles dans mes affaires ?
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Lie tes ratures
Teen Fiction"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade de classe, Yann. Cependant, il ne le lui a jamais dit. Il est resté silencieux pendant plus de deux ans, continuant à rallumer de temps en te...