Lie tes ratures

Mars - 5.

La sonnerie avait retenti depuis plus de dix minutes maintenant, et pourtant, aucun professeur n'était arrivé. Bien sûr, ça ne déplaisait pas tant que ça à Victor mais il n'appréciait pas particulièrement d'attendre dans le froid du couloir. Il osait à peine sortir son téléphone, de peur qu'un surveillant un peu trop zélé ne surgisse pour le lui ôter. Pourtant, prendre ce risque lui semblait plus plaisant que d'observer Yann discuter avec d'autres personnes, en particulier cette peste de Doriane et ses deux amies. Et, comble du malheur, Pauline se trouvait dans une autre salle, puisque le destin n'avait rien trouvé de mieux que de les séparer dans certains cours et de séparer ces activités en groupes. Heureusement, ou non, selon l'angle pris pour observer la situation, Victor se trouvait avec Yann.

Le temps de cette longue attente, le jeune lycéen eut l'horrible impression de retourner quelques mois plus tôt, quand il devait encore se contenter de fantasmer et d'espérer bêtement tout en sachant que son rêve ne se réalisait pas. Ce sentiment lui serrait le coeur comme un étau déjà auparavant, mais la situation lui apparaissait encore pire aujourd'hui. Son estomac se soulevait en constatant que, certes, il avait réalisé une partie de ses désirs, mais même acquis, ils parvenaient à lui échapper... Il ne s'agissait pas que de ses désirs, mais bien son copain, celui qu'il voulait, qu'il chérissait en secret et depuis peu à la lumière du monde, celui qui nourrissait ses désirs et qui colorait ses nuits.

En écoutant la berceuse mortelle de ses espoirs meurtris, Victor eut l'impression d'étouffer.

— Tout va bien ? lui demanda une voix.

Victor tourna la tête. Il se rendit compte de la présence de Charlotte, une fille qu'il appréciait, bien qu'ils ne se parlaient qu'en de rares occasions. En regardant sa camarade, il céda un instant aux caprices des préjugés et se demanda comment elle pouvait être en filière littéraire, elle qui avait l'air si sérieuse, si coincée, si... mathématique. Si cette matière pouvait devenir un adjectif, ce serait certainement le meilleur pour caractériser la jeune fille. Rien à voir avec Doriane, qui faisait tout pour être vue différemment.

— Ouais, ça va.

— Fatigué ?

— Ouais. Ce contrôle d'histoire était crevant. Lacroix ne nous a pas fait de cadeaux, cette fois... Tout s'est bien passé ?

Elle esquissa un sourire.

— Oui, tout s'est bien passé.

— Tant mieux. Tu sais si la prof est là ?

— Je ne sais pas. Je ne l'ai pas vue ce matin. De toute façon, on pourra partir dans cinq minutes.

Cinq minutes à souffrir, seul dans son coin, songea Victor. Néanmoins, il ne montra aucun signe de ses pensées à l'autre lycéenne.

— Quatre minutes et vingt secondes, pour être précise.

Il hocha la tête en masquant son amusement. La seule épine dans son style tellement géométrique, c'étaient ses montres colorées qu'elle arborait au poignet, avec l'heure digitale notée dessus. Aujourd'hui, elle était bleue, mais ce n'était pas un bleu sobre. C'était un bleu ciel très clair, digne d'une montre pour enfant. Charlotte hocha à son tour la tête et s'éloigna. 

Victor continua à s'adosser contre la fenêtre, observant ses autres camarades... Et par autres camarades, il fallait bien évidemment comprendre par là Yann et ceux avec qui il discutait. Ce dernier n'accordait en fait que très peu d'importance à ce qui se racontait. Son regard errait sur la peinture écaillée du mur qui lui faisait face.

Le brun plongea dans sa mémoire pour y retirer les prénoms des compagnons qui parlaient avec son ami. Il crut bien se souvenir d'une certaine Claire, une petite blonde aux yeux pétillants et un peu trop énergique à son goût, de Jordan, l'un des seuls autres garçons de la classe et véritable prodige du ping-pong, unique discipline dans laquelle il se distinguait véritablement. Il y avait bien cette autre fille, plus discrète, mais c'est justement cet attrait et sa banalité qui avaient rendus coupable Victor de l'oubli de son nom.