Avril - 13.

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 L'ampoule de la chambre diffusait une lumière jaunâtre, chaude, rassurante sur les murs. Victor étouffa un petit bâillement, allongé sur son lit, confortablement calé contre un monticule d'oreiller pour soutenir son dos. Dans ses mains, il tenait un des derniers livres qu'il venait d'acheter, quelques jours plus tôt. Une réplique d'un des personnages le fit sourire et le renvoya à leur propre expérience.

C'était incroyable. Il peinait encore à réaliser qu'ils avaient tourné la dernière page de leur propre roman après tant de travail. La soirée, magnifique, lui revint en mémoire. Bien sûr, il n'oubliait guère qu'il ne s'agissait que de la première partie d'un long processus, et que le plus dur restait à venir. Après l'écriture, ils devaient peaufiner ces longues lignes. Un travail de longue haleine les attendait donc. Mais ils ne pouvaient pas faire autrement ; ils se devaient d'être efficaces.

La sombre pensée que le temps leur était compté se glissa dans sa tête. Cette terrifiante vérité l'arrêta un instant dans sa lecture. Il posa le livre, ouvert, sur ses jambes tendues et regarda le plafond. En d'autres circonstances, il se serait sûrement amusé de remarquer que son cerveau même semblait figé. Ce soir, la tristesse domina son coeur.

Il secoua la tête pour se reprendre. L'exploit qu'ils venaient d'accomplir suffisait à laisser l'espoir lui coller à la peau. Ecrire un roman. Cette simple formulation évoquait en lui tellement d'images ; des heures de travail, mais aussi un projet, la certitude d'accomplir quelque chose, de partager des moments, l'assurance de se connecter à l'entièreté du monde le temps de quelques mots. Ecrire, c'était ça et bien plus encore...

Un rire bref lui échappa. Au début, il ne s'était pas vraiment montré enthousiaste. Il aimait plus que tout la littérature et voulait effectivement écrire un roman ; mais il ne se sentait pas de le faire maintenant. Puis Yann lui avait tendu la main et lui avait proposé de continuer son projet avec lui. Il ne se rappelait plus vraiment la façon dont ils s'étaient lancés. Les jours se sont succédé, les lignes avec, jusqu'à ce jour.

A cette simple idée, son coeur s'emplit d'une immense fierté, une joie sans limite qui pourrait le pousser à sauter partout dans la maison. Un petit sourire illumina son visage. Alors qu'il parcourait des yeux les pages de l'ouvrage, il prenait conscience qu'ils pourront certainement bientôt tenir leur trésor entre les mains.

Il leva les yeux au ciel en imaginant simplement la quantité de travail faramineuse qui leur restait. Victor aurait aimé s'y mettre tout de suite, mais Yann avait insisté pour faire une pause. Une pause ! Qu'il était drôle... Victor ne se désignait pas spécialement comme un acharné du travail, et s'il ne s'agissait pas d'une des choses les plus importantes de sa vie, il l'aurait certainement remise à plus tard. Néanmoins, on ne parlait pas de faire la lessive ou travailler sur sa dissertation !

Les romans n'attendent pas.

Et, malheureusement, la maladie non plus.

Or, il ne leur restait plus beaucoup de temps. Déjà, Victor sentait la fatigue de son petit ami prendre le pas sur leur quotidien. Il faisait beaucoup plus de siestes, il respirait moins bien, sa peau était beaucoup plus pâle... Les symptômes s'accumulaient de jour en jour. Terrifié et impuissant, il ne pouvait que contempler leur déchéance. Seulement, le monde de l'écriture était un monde de patience, un monde dans lequel on faisait et défaisait mille fois avant d'effleurer un résultat satisfaisant. Si publication il y avait, alors, selon ses estimations, elle ne verrait peut-être pas le jour avant une année entière.

Ils ne disposaient que de trois mois.

Victor jeta un coup d'oeil à son portable. Presque minuit. Ses lèvres tressaillirent en un soupir résigné. D'une main aveugle, il attrapa le marque-page qui trônait sur la table de nuit et posa le bouquin sur le meuble. Il prit son téléphone, et agita ses doigts sur l'écran. Aussitôt, une réponse lui parvint, courte, bienveillante, passionnée : bonne nuit, agrémentée de plusieurs coeurs.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant