Juin - 6.

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 Victor raya une nouvelle fois une ligne sur la liste. Depuis leurs retrouvailles, ils n'avaient pas perdu une seule seconde ; ils ne se quittaient plus, restaient ensemble, nuits et jours. L'absence avait été si insupportable qu'ils devaient la combler par tous les moyens. Victor souriait souvent en regardant sa messagerie, débordant de douces missives, de pensées toutes plus aléatoires les unes que les autres, poussées par l'impériale avidité des mots. 

Ils n'avaient jamais cessé l'écriture non plus. Les mots pleuvaient chaque fois qu'ils se croisaient. Ils le sentaient en eux, ce terrible besoin, impératif, duquel il leur était impossible de s'échapper. Victor n'y avait jamais vraiment réfléchi auparavant, mais maintenant qu'ils se confrontaient à l'indicible vérité, il savait ce qui grouillait en lui et que Yann n'avait fait qu'éveiller. Quand le temps manquait, les âmes éprises n'avaient qu'une échappatoire : écrire l'univers.

C'était terrible, c'était douloureux, parce qu'aucun des deux ne se faisait d'illusion : chaque mot qu'ils couchaient sur le papier, chaque commentaire qu'ils lisaient à propos de ces quelques futilités poétiques les rapprochait un peu plus de l'insoutenable.

Yann n'avait fait que s'affaiblir ces derniers jours. Le moindre effort lui arrachait une grimace, son cartable devenait trop lourd pour lui, ses poumons sifflaient plus qu'un prof de sport enragé devant une classe d'élèves braillards qui refusaient de courir. Sauf que ses poumons avaient pris la place de ces élèves feignants et que Victor, malgré toutes les peines du monde, n'arriverait pas à encourager son système respiratoire. Il n'était pas assez puissant.

Victor plia soigneusement la feuille et la rangea dans son sac à dos. C'était un de leurs rituels ; chaque fois qu'ils se voyaient — car ils devaient bien se séparer parfois —, ils emportaient une copie de cette fameuse liste. Ils préféraient l'avoir sous la main ; on ne savait jamais si une pulsion aventureuse les poussait à rayer une nouvelle chose.

Deux jours plus tôt, ils n'avaient rien prévu, pourtant le destin joueur les avait conduits à enregistrer une reprise de leur chanson préférée et à la publier sur internet aux yeux de tous. Ni la honte ni la médiocrité de leur performance — quoi que Victor s'était révélé plus à l'aise que son compagnon — ne les empêcha de se faire plaisir. Hier, comme des cordes tombaient du ciel moutonneux, ils passèrent l'après-midi à manger des sucreries devant un match de volleyball, puisque Yann en pratiquait avant de tomber malade.

— Au fait, tu connais Mikaël ? demanda Victor entre deux poignées de crocodiles en gélatine.

— Durand ? Vite fait, pourquoi ?

— Arthur a un crush sur lui, je crois.

— Ah.

— On dirait que ça ne te plaît pas.

— Pas vraiment. Mike est quelqu'un de sympathique, mais c'est loin d'être quelqu'un qu'il faut pour Arthur.

— Je vois... Comment tu le connais ?

— J'ai dû l'interviewer pour le journal du lycée l'année dernière... Et Doriane m'a traîné à plusieurs soirées où j'ai eu l'occasion de le croiser.

— Ah, monsieur fréquentait ce genre de soirées ?

Yann avait haussé les épaules, se contentant d'avaler un bonbon en forme de banane qui n'avait rien demandé à personne et qui servait à calmer son désir. Puis les deux garçons passèrent à autre chose ; après ce match endiablé, peu envieux de terminer tranquillement leur journée, ils firent quelques canulars téléphoniques à des gens peu susceptibles de les reconnaître.

— J'ai été sage un peu trop longtemps, avait confié le blond. A quoi sert l'amour si on ne peut pas exprimer tout, même ses petits démons ?

Victor avait été trop faible face à cet argument imparable.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant