Avril - 9 (2).

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Victor écarquilla les yeux, frappé par la voix enrouée de Yann. Avait-il rêvé ? Il se retourna pour être sûr que personne n'était là. Mais ils habitaient seuls le cimetière, cette après-midi. Le petit lycéen s'approcha alors, convaincu que la rupture de ce silence l'invitait à se tenir aux côtés de son amour.

— Deux mois, répéta Yann, plus clairement cette fois-ci.

Il fallut un moment à Victor pour rassembler ses souvenirs. De quoi Yann parlait-il ? Quand il s'approcha, il contempla la pierre devant laquelle se tenait l'autre adolescent. La maison de marbre se dressait fièrement, calme, froide, impériale, à la fois pareille à ses dizaines de voisines mais pas tout à fait quand même. Un nom y était inscrit.

Charles Leprince, l'oncle de Yann.

Victor resta silencieux. Il maugréa quelques mots incompréhensibles emportés par la pluie tranquille. Comment avait-il pu oublier ça ? Quel imbécile.

— Yann, je...

— Aujourd'hui, continua-t-il en ignorant superbement son amoureux, ça fait deux mois qu'il nous a quittés, qu'il est parti sans que je n'ai le temps de profiter de lui. J'aurais tellement de choses à lui dire. C'est lui qui m'a permis de supporter beaucoup de choses dans ma vie. Sans lui, je n'en serai peut-être pas là. Je ne serai peut-être même pas là du tout.

Ce murmure glissa sur la peau de Victor comme un frisson d'horreur.

— En quelque sorte, c'est lui qui nous a permis de nous rencontrer, souffla le blond. S'il ne m'avait pas confié sa plume, s'il ne m'avait pas parlé de tout ce qu'il aimait faire en tant qu'auteur, on n'écrirait probablement pas un roman aujourd'hui. Je ne t'aurai jamais connu. C'est grâce... C'est grâce à lui qu'on est là.

— En même temps, on serait certainement ailleurs sans lui, plaisanta Victor.

Yann lui lança une œillade en coin, mais ne releva pas la blague. Ce dernier murmura des excuses. Il savait que c'était assez déplacé, mais il n'avait pas pu s'en empêcher.

— Je suis sûr qu'il t'aurait aimé. Il aimait les gars comme toi.

— Comme moi ?

— Gentils. Profondément bons.

— Je ne suis pas si bon que ça, réfuta Victor.

— Tu ne convaincras personne. Et surtout pas moi sur ce point. Je suis désolé pour tout ce qui s'est passé.

— Il y a longtemps que ça s'est passé, Yann. Et tu n'y es pour rien. En plus, je n'ai pas envie d'en parler.

Le jeune auteur secoua la tête. Le souvenir était encore bien ancré dans la tête de Victor. Il demeurait là. Les larmes... Les rires... Les regards en coin... Cette sombre histoire avait laissé les traces de ses griffes jusque dans sa peau.

— Mon oncle a toujours été gentil avec tout le monde. Il était juste trop timide pour pouvoir parler librement. Alors il a pris la plume. Si tu savais le nombre d'histoires qu'on a inventées ensemble... Je ne les compte plus.

— Tu pourras m'en raconter une ?

Yann émit un petit ricanement en fermant les yeux, se plongeant dans ses souvenirs.

— Avec plaisir. Je t'en ferai lire une, si tu veux. C'est plus savoureux de l'avoir entre les mains. Après tout, c'est ce qu'on a fait en premier. L'écrire.

Un petit soupir franchit les lèvres du jeune écrivain, désespérément hypnotisé par la pierre devant lui. Il clignait à peine des yeux, lesquels laissaient perler quelques larmes. Ses lunettes tombaient piteusement sur son nez, alors il les remonta d'un geste mécanique.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant