Ne pouvant se fier qu'à son imagination, Yann la laissa courir. Il supposa tout un tas de surprises. De toute façon, songea-t-il avec amusement, après le château, les limites du possible avaient été balayées. Il pouvait s'attendre à tout... ou presque. Il n'était pas sûr que Victor puisse lui offrir une villa ou un yacht. Il n'avait pas autant d'argent, même s'il commençait à douter... Et si Victor lui avait caché qu'il était un gosse de millionnaire ou de milliardaire ? Connaissant le bougre, ce n'était même pas improbable. Mais il aurait pu au moins avoir la décence de l'emmener dans son jet privé au moins une fois !
Soudain, ils s'arrêtèrent. Victor pressait toujours sa main et le guidait avec une infinie douceur. Être aveugle ne l'aurait pas dérangé, pas avec lui. Ce garçon n'était pas qu'un lycéen dont il était tombé amoureux. C'était sa lumière. Il était l'encre qui nourrissait sa plume. Il savait qu'il ne le laisserait jamais tomber. Au sens propre comme au figuré. Combien de garçons auraient fui en apprenant qu'il allait bientôt mourir ? Combien d'entre eux n'auraient su l'épauler comme il le faisait si bien ?
Yann se doutait bien que Victor devait se sentir inutile devant ses faiblesses de plus en plus évidentes, qu'il devait paniquer en pensant seulement à ce qui l'attendait. Lui, étrangement, rangeait ses pensées au fond de sa tête. Ce n'était qu'un incessant bourdonnement, une idée bien constante, mais il ne montrait pas sa panique. Elle dormait bien au chaud, les ailes repliées, pareille à un dragon somnolent. Mais ses réveils, soubresauts plus terribles qu'un tremblement de terre, le terrifiaient.
— On est arrivé. Pauline va t'enlever ton bandeau. Tu es prêt ?
Yann acquiesça, silencieux. Il sentit les douces mains de la rousse se promener derrière sa tête, à la recherche du tissu. Elle s'activa rapidement, et il sentit le voile des ténèbres chuter. Alors, doucement, tel un nouveau-né, il laissa la lumière couler en lui. Il ouvrit prudemment les yeux. Le monde apparut, trouble, puis de plus en plus net.
A cause de sa myopie, il lui fallut plusieurs secondes pour bien se repérer. Valérie, à sa droite, lui tendit ses lunettes qu'il accepta avec gratitude. Ce qu'il vit lui coupa le souffle.
— J'espère que ça te plaira, dit Victor.
— Mais t'es pas sérieux... Jusqu'où iras-tu ?
— Jusqu'au bout du monde.
— C'est ringard, ça, Vic, commenta Pauline.
— C'est ringard, peut-être, mais je l'accepte avec plaisir, répondit Yann. Et dire que tu irais jusque là...
— Tu ne me sous-estimerais pas un peu, toi, par hasard ? s'indigna son copain, amusé en lui donnant un petit coup de coude dans les côtes.
— T'es juste dingue.
— Tu ne m'apprends rien.
Que sommes-nous capable d'accomplir par amour ? Qu'est-ce qui peut bien pousser un coeur innocent à remuer ciel et terre, à ébranler les montagnes et les océans pour un seul être ? Jusqu'où peut-on aller pour contenter ce sentiment toujours insatisfait ? Ces questions taraudaient depuis déjà bien longtemps ce pauvre Victor. Mais aujourd'hui, il se demandait surtout s'il avait pu aller plus loin. Il savait qu'il pouvait se targuer d'être très démonstratif quand il le voulait, mais était-ce suffisant ? Ou peut-être trop ?
Cette inquiétude furtive le traversa rapidement, mais il ne s'y abandonna pas pour autant. Tout simplement parce que ça n'était pas concevable. Est-ce seulement possible de trop aimer quand notre amour est sain ? Peut-on seulement blâmer les âmes démesurées qui veulent offrir le monde entier pour l'être aimé ?
Aujourd'hui, il n'avait pas vraiment l'impression qu'il s'était montré démesuré, mais il guettait un quelconque signe désapprobateur sur le visage de Yann. Si son porte monnaie tirait une tête cadavérique, le blond en revanche exultait littéralement. Son immense sourire béat n'avait pas quitté son visage. Quoi, n'avait-il jamais vu un hélicoptère de sa vie ?
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Lie tes ratures
Teen Fiction"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade de classe, Yann. Cependant, il ne le lui a jamais dit. Il est resté silencieux pendant plus de deux ans, continuant à rallumer de temps en te...