Avril - 4.

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Victor n'avait qu'une seule hâte, tandis que le lycée pointait le bout de son nez bétonné au bout de la rue. Ses doigts, au bout de sa main, trépignaient d'impatience, tout comme son coeur amoureux.

Rares étaient les fois où il était heureux de se rendre au lycée ; aujourd'hui en faisait partie. Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas vraiment vu Yann. Alors recevoir un appel de sa part le matin même, et savoir qu'ils allaient passer un moment ensemble, suffisait à recouvrir ce ciel de printemps d'une couche d'or et de bonheur.

Assise à côté de lui, Pauline semblait dans le même état d'euphorie. Elle tapait en rythme sur son volant, souriant aux automobilistes, ne faisant aucun commentaire sur la qualité de la circulation et riant aux canulars passant à la radio. Le ciel cuivré laissait s'élever l'or du matin et les tourments de la nuit derrière lui.

Les astres, semblant de leur côté aujourd'hui, illuminèrent leur passage et la chance se mit à leur sourire. Toute une série d'événements heureux survinrent, les uns après les autres. Victor, qui avait troqué sa grande doudoune confortable contre une veste ressemblant plus à un vêtement qu'à une armure de guerre, se crut sur le satellite de la Terre. Léger comme une plume — bien qu'il l'était déjà avec cet attirail, tout petit et léger — il avança vers l'établissement, serein, le pas sautillant et le coeur ailé.

Ils n'eurent aucune difficulté à passer les grilles de l'établissement et à traverser la cour ; les autres lycéens, un peu moins nombreux par ailleurs, s'écartaient sur leur passage. Quelques anciens camarades leur accordèrent un signe de la main. Victor se sentait roi du monde. Rien ni personne ne pouvait l'arrêter.

Invincible, fort de ses espoirs et de ses désirs, il marcha comme un empereur, et savoura l'intense plaisir de domination que lui donnait sa bonne humeur. Il s'arrêta dans un coin du lycée, plus vert que le reste des lieux. Leur coin. Celui où ils se sont faits la promesse d'écrire leur histoire. 

Quand il vit Yann, assis sur le banc, un carnet à la main et un stylo dans l'autre, ses lunettes descendant doucement sur son nez, une vague de sentiment emporta Victor. Les arbres, autour d'eux, commençaient doucement à retrouver leurs fleurs. Les bourgeons grossissaient à vue d'oeil sur les branches nues, soumises au ballet du vent printanier.

Victor continua de marcher vers son petit ami. Le bruit de ses pas extirpa Yann de ses pensées ; levant la tête, il le regarda avec un petit sourire en coin, l'air insolent. Comme s'il pouvait, à ce moment, se dresser contre le monde entier, avec sa taille moyenne et son corps si fin. A ce moment précis, Victor sut que, s'il ne se contrôlait pas, son amour l'emporterait sur sa raison et il lui sauterait dessus pour l'embrasser furieusement.

A la place, il continua de marcher et arriva devant celui qu'il aimait plus que tout. Les deux restèrent un instant suspendus au regard de l'autre. Plus rien n'existait ; ni les conversations bruyantes des élèves, ni le vent qui dansait autour d'eux, ni les regards intéressés ou blasés que lui lançaient ceux qui passaient à côté d'eux. Ce n'était plus qu'eux, l'amour, la poésie. Et ce banc. Ce banc si cher à leur coeur, fidèle, implacable, accueillant leurs conversations et gardant jalousement le secret.

— Salut, se dirent-ils simplement.

Comme s'il ne fallait pas faire éclater cette bulle sacrée, Victor s'installa aux côtés de Yann le plus doucement possible. Ce dernier, toujours son stylo en main, regardait son copain prendre place avec lui. Et dans le regard du blond, il put y lire tout l'amour du monde.

Victor en profita, comme chaque fois qu'il se prenait à l'observer, pour graver son image au plus profond de son esprit. Il observa sa mâchoire carrée, sa peau blanche toute douce, quand il passait sa main dessus ; ses lèvres rosées aguicheuses qui ne demandaient qu'à être saisies. Son visage ferme contrastait avec la face enfantine du brun.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant