Avril - 9 (3).

470 44 50
                                    

— Je me demande s'il se plaît, là-dedans. Il ne fait pas tous les jours beau, mais il doit être à l'abri.

— Ne t'inquiète pas. Il doit passer son temps à raconter des histoires aux vers de terre.

— Dis. Tu penses qu'on se retrouvera ? Je veux dire, une fois que...

— Je ne sais pas trop, répondit Victor d'une toute petite voix. Probablement. J'espère.

— Tu crois à la réincarnation ?

— Peut-être pas en tant que telle, mais je crois que nous portons le poids des espoirs de ceux qui sont partis. C'est ça, pour moi, la vraie réincarnation ; la possibilité que les vivants ont de faire vivre les espoirs et les attentes des morts.

— Personnellement, je pense qu'on finit par se revoir. Tant que notre histoire ne sera pas complète, il y aura toujours un endroit où nous nous reverrons. Mais je sais aussi que nous ne sommes jamais sûrs. Les tomes abandonnés dans un tiroir, ce n'est pas ce qui manque. Les écrivains le savent mieux que personne ; nous avons tous une histoire inachevée dans notre coeur. Alors j'essaie de faire en sorte de ne pas avoir à ressentir de regrets... Trop tard, fit-il remarquer avec une courte pause. Tant pis.

— Nous n'avons qu'à réparer ça.

— Et comment ?

La voix de Yann, aussi tranchante qu'une hallebarde pourfendeuse, frappa Victor de plein fouet. Ce n'était pas rare que le blond se montre cynique, mais jamais aussi froidement. Cette fois, Victor savait que ce serait probablement plus compliqué que d'habitude.

— Il suffit simplement de te débarrasser de ce poids.

— Tu le peux ? Faire disparaître cette erreur par magie ? Remonter le temps, agir sur les flux de mon inspiration, me donner la force suffisante pour écrire cette histoire avant que ce putain d'arrêt cardiaque ne l'emporte ? Sois sérieux, Victor. On ne peut pas. Je vais devoir vivre avec ce regret.

— C'est toi qui veux vivre avec ce regret. Personne ne te le demande. Tu es le seul à te l'imposer.

— Comment pourrais-je oublier ça ? Je ne peux pas. Vivre sans les erreurs que l'on fait, ce n'est pas sérieux. Il y a certaines erreurs qu'on ne peut ni oublier ni desquelles on peut se défaire. Vivre sans elles, c'est vivre avec l'idée que tout a été parfait. Et ce serait... Ce serait trahir la mémoire de mon oncle !

— On peut avancer en faisant honneur à notre passé sans en faire un boulet. Si notre passé est un boulet, il suffit juste de prendre le présent.

— Prendre le présent comme il est en ignorant le passé ne me mènera à rien. C'est stupide. On ne peut pas tirer un trait sur ce qui nous a construit juste par caprice.

— Et pourquoi pas ? Je veux dire... Si quelque chose t'a blessé, il est possible de s'en débarrasser. C'est même clairement obligé. Sinon, on ne vit pas sereinement. Je dirais même qu'on ne fait que survivre.

— Ce n'est pas comme si je n'étais pas habitué.

— Qu'est-ce que... Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Rien. Laisse tomber.

Yann sortit un petit mouchoir de son sac et tenta tant bien que mal d'essuyer ses lunettes. La tête penchée, concentré sur l'important travail qu'il réalisait à cet instant, il avait coupé les ponts avec le monde. Victor l'observait en silence. Il ne pouvait pas oublier sa dernière phrase. Que voulait-il dire ? Qu'est-ce qu'il entendait par survivre ?

C'est à ce moment qu'il comprit quelque chose d'horrible. Quelque chose qui lui déchira la poitrine comme un boulet de canon qui viendrait le transpercer. Il réalisa qu'il était peut-être passé à côté de beaucoup de choses. Comment avait-il pu ignorer certains signes ? Comment avait-il pu être aussi naïf ?

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant