Juin - 7.

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Trois jours s'étaient écoulés depuis l'épisode de la mer. Victor ne cessait d'y penser ; les mots de Yann sonnaient étrangement à ses oreilles, comme un point d'orgue à tout ce qu'ils avaient construit. Tout ce qu'il lui avait dit, ces murmures d'amour, ce dernier contact, ce baiser aux senteurs océaniques... Ils résonnaient en lui tel un crépuscule.

La fatigue de Yann grandissait de jour en jour et les rendez-vous médicaux se multipliaient depuis ces deux derniers mois. Chaque compte-rendu paraissait pire que le précédent aux yeux de Victor, et chaque fois qu'il posait les yeux sur son amoureux, il ne retrouvait en lui qu'une ombre pâlissante, chaque fois un peu plus absente que le précédent.

Aujourd'hui, une chaleur torride accablait le monde ; le soleil dardait ses impitoyables rayons sur la ville. Victor sentait le poids de l'été peser sur ses épaules. Il tourna la tête vers Yann ; assis dans le canapé, ce dernier respirait difficilement. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Il attrapa faiblement la bouteille d'eau qui se trouvait sur la table à côté de lui.

Comme il en avait l'habitude à présent, Victor squattait la chambre de Yann pour réviser ses cours. Cécile passait régulièrement pour savoir si tout se passait bien, mais ne restait jamais bien longtemps devant l'air absent de son fils et de son beau-fils, concentré sur ses révisions.

Lors d'une pause, Victor consulta les commentaires sur leur oeuvre. Depuis quelques jours, les lecteurs augmentaient. Ils commentaient même parfois avec frénésie, humour et extravagance, ce qui ne manquait pas d'amuser les deux garçons — et dans une moindre mesure Pauline qui surveillait de près le parcours des deux adolescents, corrigeait leurs erreurs, repérait les incohérences de leurs textes...

— Oh, un nouveau commentaire ! rit Victor. Ils sont dingues, les gens qui nous lisent.

— C'est clair, répondit Yann.

— On a de plus en plus de retours positifs. Je commence sérieusement à penser qu'on a peut-être une chance d'être publiés !

— Tu... Tu en doutais ?

Le ton faiblard de Yann calma automatiquement Victor qui s'écarta de l'ordinateur face à lui. Il s'approcha, un air grave sur le visage :

— Eh, tout va bien ?

— Je... Mal à la tête... Fatigué...

— Quoi ?

— Victor...

Le reste de sa phrase se perdit dans une quinte de toux grasse, sifflante, désagréable. Yann pressa sa main contre sa bouche et s'obligea à respirer à un rythme régulier, malgré la difficulté qu'il avait à rester calme. Quelques minutes et un verre d'eau plus tard, la machine branlante qu'étaient ses poumons finit par se calmer.

— Tu vas mieux ? Voilà, respire doucement.

Malgré tout le réconfort qu'il tentait d'insuffler dans ses paroles, Victor avait la désagréable impression d'être inutile. Yann souffla finalement et s'essuya le front du revers de la main. Un silence s'abattit sur la pièce.

— Tu veux que... que je repasse plus tard ?

Yann mit plusieurs longues secondes à formuler sa réponse. Le mouvement des aiguilles de l'horloge qui pendait au-dessus du bureau du malade s'accorda aux râles douloureux qui ronflaient dans sa gorge.

— Non... Reste. S'il te plaît.

— Ce n'est peut-être pas raisonnable...

— Je ne l'ai jamais été.

— Ok. Je reste. Je te l'ai dit. Jusqu'au bout.

Yann acquiesce d'un faible hochement de tête. Victor l'aida à passer de son fauteuil à son lit et l'installa confortablement. Un silence plus agréable flotta entre les deux garçons. Le plus grand tourna un regard fatigué vers l'autre :

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant