Mars - 4.

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 Le bruit des conversations couvrait celle des trois adolescents qui venaient de franchir la porte d'entrée. Yann suivait Victor et Pauline, qui semblaient avoir décidé de se montrer particulièrement taquins et provocateurs. Les piques fusaient aussi vite que l'éclair. Le blond laissa promener son regard sur les allées, se désintéressant bien vite de ses compagnons. Bientôt, il erra au milieu du labyrinthe de ses pensées.

— Tout va bien, Yann ? questionna Victor.

Le blond releva la tête et constata qu'une bonne paire de mètres le séparait de son ami. Il avait inconsciemment ralenti le rythme, retenu par une foule de questions et de préoccupations.

— Ouais, ça va. Je pensais juste à quelque chose.

— Tu pensais à quoi ?

— Rien de spécial. J'admirais juste la beauté des lieux.

Effectivement, c'était assez joli pour que le brun prenne au sérieux ce prétexte et acquiesce, avant de retourner voir Pauline. Yann accéléra le pas pour les rejoindre, bien que l'idée de partir lui traversa l'esprit. Pourquoi ? Il n'aurait trop su quoi répondre. Seulement, voir Victor si proche de son amie provoquait chez lui un sentiment presque désagréable.

Il se résigna malgré tout et resta. Les trois lycéens se dirigèrent en premier lieu là où ils pourraient échanger leurs chaussures contre une autre paire. Ce fut Pauline qui s'occupa de la transaction. Une fois changés, ils s'éloignèrent. C'est à ce moment-là que Victor demanda, intrigué :

— Pourquoi le bowling, au fait ?

La demoiselle, pour toute réponse, commença par leur sourire. Yann sentit bien que le regard qu'elle lui lança était très appuyé :

— Pour parler de boules en toute quiétude, évidemment !

— T'es sérieuse ? s'indigna le brun. T'es vraiment tordue !

— Oh, ça va, je plaisantais, patate.

Victor lui tira la langue et s'éloigna vers la piste. Les deux autres se mirent à ses côtés. Il se tourna vers ses compagnons :

— Vous ne voyez aucun inconvénient à ce que je commence ?

— Franchement ? T'es un goujat ! se plaignit Pauline. Mais ça me va.

— Yann ?

— Si tu veux commencer, vas-y.

Les deux garçons sourirent, et ainsi la partie débuta. Victor s'élança et projeta son bras vers l'avant dans un mouvement. La boule décrivit un arc de cercle ; Yann l'observa chuter vers le sol, rouler, rouler, encore et encore. Ici, sur ce chemin synthétique, elle semblait si forte, capable de détruire tous les obstacles sur son chemin. Et dans sa position, comme un ancien lanceur grec, le lycéen que l'écrivain avait choisi lui paraissait si beau. Figé dans un immobile mouvement de puissance, le bras et les doigts tendus vers le futur, il patientait ; et tout ce qui le faisait si fantomatique d'ordinaire le sublimait aujourd'hui, aux côtés de son amie. Pauline, les bras croisés, regardait ce spectacle.

Assis sur un siège peu confortable, Yann se sentit alors comme un lecteur, face à un flots de mots qui troublés se métamorphosent en images ailées. Il réhaussa ses lunettes d'un geste incertain, plongé dans la contemplation de cette arme vivante qu'était la boule, dévalant la pente dans une lente et délicieuse célérité, conquérant l'espace comme l'amour le ferait. Sa rotation intensive était prête à briser les murs en face d'elle. Quand elle rencontra enfin l'armée de quilles, aussi droites et insolentes qu'une armée de guerriers, le choc libéra dans les coeurs des adolescents un sentiment paradoxal qui s'envola et se brisa instantanément. Et la boule, après avoir réalisé sa besogne, disparut dans le néant, ne laissant derrière elle qu'un obstacle affaissé sous le poids de la chance.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant