Avril - 10.

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Le trajet entre le cimetière et la maison de Yann se déroula dans un silence de mort. Les deux garçons rentrèrent, muets comme des tombes, sous un ciel de plomb. Victor avait bien tenté d'interroger Yann, mais ce dernier avait décidé de tout expliquer ailleurs. A chaque pas, l'angoisse de Victor montait d'un cran, tandis qu'une nouvelle vague de questions le harcelaient. Un mal de crâne horrible lui vrillait le cerveau.

C'était un cauchemar, un horrible cauchemar duquel il ne tarderait pas à se réveiller. Sauf que, de ce qu'il savait de ces terribles phénomènes oniriques, en général, la victime se réveillait après le choc. Il aurait déjà dû hurler dans la pénombre de sa chambre, le front trempé de sueur, puis se rassurer en observant la photo de son petit ami.

Mais tout ça était bien réel. Trop réel pour n'être qu'une farce de son esprit tordu.

Une tension insoutenable chargeait la chambre de Yann dans laquelle ils venaient tout juste de s'installer. Toujours sans décrocher un mot, Victor s'était assis sur la chaise de bureau du blond. Il la trouva instantanément inconfortable et se trémoussa un long moment avant de trouver une position qui, à défaut d'être suffisamment bonne, ne le perturbait pas. Sa mâchoire, qu'il n'avait pas desserrée pendant tout le trajet, propageait des ondes de douleur dans tout son corps.

Ce n'était pourtant pas grand chose à côté des larmes qui lui piquaient les yeux. Ce n'était rien à côté de l'étau qui écartelait son coeur.

Yann jouait avec ses doigts, assis sur son lit, juste en face de lui. Sa peau pâle avait encore perdu des couleurs depuis l'annonce de cette annonce. Aucun bruit ne régnait dans la pièce. Rien. Les lèvres de Victor, brûlantes, s'agitaient de petits soubresauts, comme pris par le désir d'exploser. Néanmoins, seul l'impérial vide remplissait la pièce.

La maison demeurait silencieuse. Même les fantômes n'osaient plus se montrer. Yann s'était assuré de l'absence de sa mère. Il connaissait Victor ; il ne tiendrait pas. Tôt ou tard, il finirait par éclater. Quand ? Il l'ignorait, mais à voir la tête crispée, les lèvres pincées, les doigts serrés, les yeux froids que son petit ami arborait, ça ne tarderait pas.

— Désolé de t'avoir fait attendre, commença Yann. Mais je ne voulais pas te dire quelque chose d'aussi important là-bas.

— J'en ai rien à foutre, lâcha Victor avec humeur.

— Ne fais pas l'enfant s'il te plaît... Il faut qu'on parle sérieusement. Je sais que c'est dur à accepter.

— Dur ? Non, je viens juste d'apprendre que celui que je considère comme l'homme de ma vie va mourir. Tout va bien.

— Victor. Ecoute-moi. S'il te plaît.

— Explique-moi Yann !

— C'est ce que j'essaie de faire mais tu n'entends rien ! Ce n'est facile pour personne, sombre crétin ! s'énerva l'adolescent. Alors tais-toi et laisse-moi parler !

Victor ne répondit rien. Il avait raison : ce n'était facile pour aucun des deux, et surtout pas pour le principal concerné.

— Désolé, maugréa Victor, boudeur. J'ai juste... Je comprends pas... Comment... Avant que tu ne m'expliques toute l'histoire... J'ai deux questions à te poser. Combien de temps ?

— Quelques mois tout au plus si tout va pour le mieux. Mais mon corps ne fait que s'affaiblir ces dernières semaines. Les docteurs ne sont pas particulièrement optimistes, regretta Yann. Je dirais deux mois. Trois, grand maximum.

Victor accusa le coup. Il ne lui restait que trois mois pour profiter de celui qu'il aime, celui qui occupait l'entièreté de ses pensées, celui qui représentait tout : ses espoirs, ses désirs, ses rêves, son passé, ses soupirs, ses souhaits... Il était sa force et son unique faiblesse.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant