Avril - 3.

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Pour la cinquième fois, ou peut-être la cinquantième, Victor regarda la pendule accrochée au mur. Il se retint de s'avachir encore une fois sur la table, même si ce n'était pas l'envie qui lui manquait. Il jeta un coup d'oeil à la prof de littérature et secoua la tête.

Le garçon ne parvenait pas à comprendre l'effort permanent de cette enseignante, s'évertuant à enseigner jour après jour, trimestre après trimestre, année après année, ignorant les bavardages, les quolibets et les notes désastreuses, ne comprenant pas que sa place serait plus dans un cabinet d'hypnose que devant une trentaine d'adolescents ne demandant qu'à s'éclipser et profiter de la vie.

Discrètement, comme il savait si bien le faire, Victor regarda son portable. Il n'avait pas reçu de réponse de Yann. Il connaissait un peu l'état d'esprit du blond, et devinait qu'il ne lui répondait pas pour le laisser se concentrer en cours. Depuis ce message assassin, les deux garçons avaient échangé quelques fois, de façon plus paisible.

Certes, Victor avait bien tenté d'engager la discussion et d'en savoir un peu plus, mais Yann lui avait promis de lui en parler plus tard et qu'il faisait tout pour qu'il n'ait pas à s'inquiéter. Si cette phrase avait eu pour objectif de calmer l'ardeur du plus jeune, au contraire, cette dernière fut décuplée. 

Et elle dut dormir au fond de l'adolescent ; chaque fois qu'il effleurait le sujet, le blond se repliait sur lui-même ou restait très vague.

En jetant un coup d'oeil à Pauline, discutant avec Charlotte à propos de tout et de rien sans vraiment se soucier du cours de la prof, il jalousa sa liberté. Sa force. Son entièreté. Bien qu'il soit franc, Victor n'arrivait que rarement à exploser. 

Malgré tout son désir de prendre le blond, de le secouer et de lui mettre une claque pour le réveiller, il se savait pertinemment incapable de le faire. Le courage lui manquait, et peut-être aussi un peu l'envie. Son portable silencieux en main, il laissa ses rêves courir derrière la fenêtre, aux côtés des nuages glacés

L'impression qu'il était revenu au point de départ — pire ! qu'il se sentait comme avant ce mois de février durant lequel ils avaient écrit les premières lignes de leur si précieuse histoire — tua son moral, et les regards en biais, colériques, pleins de déception et d'amertume que la soi-disant meilleure amie de Yann lui lançait ne l'aidaient pas.

— Victor ?

Il tiqua, leva la tête de sa feuille et délaissa les bribes poétiques qu'il tissait pour faire passer le temps. Il se tourna vers Pauline... mais ce n'était pas elle qui venait de l'appeler. Surpris, il constata que c'était Charlotte.

— Ouais ?

— Ça va ?

— Bah oui, pourquoi ça n'irait pas ?

C'est en voyant sa camarade rougir qu'il comprit que le ton qu'il venait d'employer était un peu trop agressif.

— Comme ça... répondit-elle, un peu évasive.

— En vrai, je suis un peu fatigué, précisa Victor. J'ai hâte que les vacances arrivent.

— Mais tellement ! ajouta Pauline.

— Qu'est-ce que vous comptez faire, pendant les vacances ? demanda-t-elle.

— Pas grand chose. Me reposer, surtout, expliqua Pauline. Ce qui ne sera pas une mince affaire avec Martin...

— J'imagine, ricana Charlotte. Il est tellement mignon, mais c'est vrai qu'il a beaucoup d'énergie !

Victor sourit. Le petit, qu'il considérait comme son frère, était effectivement très agité.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant