Juin - 4.

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 Quatre jours. Quatre jours que le silence se creusait entre eux. Quatre jours qu'ils ne s'écrivaient plus, que les mots se faisaient aussi rares que l'oxygène, quatre jours qu'ils suffoquaient chaque fois que leur regard muet se croisait. Combien de messages Victor avait-il écrit avant de les effacer ? La douleur qui passait dans ses doigts lui rappelait toutes ses tentatives échouées.

Un nouveau soupir franchit ses lèvres. Depuis ce jour détestable, Victor avait la désagréable sensation de passer ses journées à vider ses poumons pour essayer d'expulser le tourbillon d'angoisses qui logeait dans ses entrailles. Plus de cent heures qu'ils n'avaient pas eu de vraies discussions. C'était à peine s'ils s'échangeaient quelques mots pour se dire bonjour et au revoir. Une force céleste avait remonté le temps. L'image de son monde révolue depuis deux ans se superposait à celle d'aujourd'hui.

A cette pensée, Victor tourna la tête et chercha avec frénésie un point d'appui, quelque chose auquel se rattacher, une bouée de secours. Personne ne devait connaître ce à quoi il songeait, aussi, comme son esprit semblait aussi lisible qu'un livre ouvert, il tenta de le fermer. Ses paupières closes, il s'autorisa à relâcher toute la tension qui nouait ses épaules. Ce moment ne dura qu'une fraction de secondes. Pourtant, il se sentit comme un oiseau face à la cage ouverte, dont les ailes déployées se tendaient pour toucher jusqu'au soleil.

Une bonne partie de la journée, Victor dut penser à cet oiseau curieux de dévorer le monde pour tenir. En classe, il quitta rarement le tableau des yeux. Ne pas se retourner. Ne pas se retourner. Pareil à Orphée qui remontait les Enfers d'un pas hésitant, son cou se crispait à la simple présence du sujet de tous ses désirs dans son dos. Tous ses muscles se tendaient lorsque son nom résonnaient au détour d'un couloir, tous ses sens s'alarmaient lorsque le nuage sucré de son parfum envahissait ses narines, tout son être vibrait lorsque sa silhouette apparaissait dans son champ de vision. Et, dans la même seconde, si terrible, plus percutante encore qu'un coup de poing en pleine mâchoire, les mots secs, durs, implacables. Les larmes menaçaient alors de couler de nouveau. Alors, pour noyer son infinie tristesse, il fermait les yeux et observait les plumes qui s'ouvraient au ciel.

Présence. Tentation. Tension. Les mots crus. Désarroi. Peine. Oiseau. Oubli. Présence...

Piégé dans une boucle infernale, Victor sentait le temps couler autour de lui au ralenti, ruisselant sur sa peau dans une lenteur infernale. Enchaîné par ses démons, il observait le monde sans y être. Une carapace vide, un spectre...

— Tu peux me passer ta colle, steuplait ?

Victor dévisagea Jordan, l'oeil absent. Son camarade attendit quelques secondes, la main tendue.

— Hein ?

— Ta colle, répéta Jordan en haussant un sourcil.

— Ah, euh... oui, tiens.

— Merci. Tout va bien, mec ?

— Ouais...

L'hésitation de Victor n'échappa pas aux yeux inquisiteurs de l'autre élève, qui, tout en collant son document d'un air tranquille, lui demanda :

— Votre partie de jambes en l'air n'a pas été assez bonne ?

— Hein, que... quoi ?

— Vous vous faites la gueule depuis presque une semaine... C'est le manque qui vous met dans cet état ? J'ai jamais vu le petit prince comme ça, ricana-t-il. Toi non plus, d'ailleurs.

— Le petit prince ? répéta Victor, peu certain d'apprécier le surnom que Jordan collait à Yann.

— Ouais. Comme il est grave populaire, il se comporte comme un prince. Le genre à avoir sa cour à ses pieds et à parler tout le temps.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant