Juin - 10 (1).

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Les mains sur les poignées du fauteuil roulant, Victor avançait d'un pas tranquille. Profiter, profiter, profiter ; une seule idée enivrait ses sens et son âme, profiter. De l'instant présent, du temps qui passe ; du tambour de ses pas sur l'asphalte brûlant, du murmure du mistral bienvenu sur les arbres bienheureux.

Il ignorait beaucoup de choses, mais il avait au moins une certitude : les talents d'oratrice de Pauline ne connaissaient que peu de limites. Ils lui devaient cette pérégrination bienvenue. C'était elle, qui, usant de toute la grâce de son insolente verve, avait fait plier les médecins. Véritables barrières, ils s'étaient d'abord montrés réticents, mais ils ployèrent sous les assauts, sous les tirades de leur amie.

Non, décidément, elle leur avait montré tous les talents de cette Pauline qu'il aimait tant, celle à qui on ne pouvait rien refuser ; dès lors qu'elle enfilait son costume de franchise, d'oratrice, joueuse et espiègle, les personnes capables de lui résister se comptaient sur les doigts d'une seule main. Sur les doigts d'une main de quelqu'un amputé des deux bras, évidemment.

Ils avaient néanmoins dû patienter longtemps avant de sortir ; les assauts du soleil demeuraient trop violents pour l'état de Yann. Mais le bonheur fut à la hauteur de l'attente.

— C'est vraiment une belle journée.

— Oui. Elle est plus belle quand je suis avec toi, tu sais.

Sous un chêne, ils s'installèrent à l'ombre chaleureux des rayons dorés. Les lieux, déserts, étaient bercés par le bruissement des branches, agitées par le vent comme autant de mains accueillant la venue des deux âmes éprises. Pauline avait quitté la scène, pris un autre chemin ; ils se trouvaient à présent tous les deux.

Victor avait choisi un petit banc à droite de l'arbre, protégé par la chevelure d'émeraude qui s'élevait au-dessus du tronc. C'était un lieu tranquille, non loin de la route qu'ils avaient embrassée. Ils contemplaient ainsi les entrées et les sorties des visiteurs qui arpentaient les alentours, tantôt avec candeur, tantôt avec gravité ; les visages défilaient avec une certaine pudeur. Quelques-uns leur accordaient un regard, d'autres avançaient aveugles.

La journée dégageait une odeur légère, chaude, douce. Une odeur qui sentait bon les vacances, le soleil, la plage, le bleu de l'espérance, l'oubli. Un parfum qui éveillait l'insouciance. Un parfum d'été.

— Il fait vraiment beau.

Victor tourna la tête vers Yann. Ce dernier ne le regardait pas vraiment ; ses yeux, ailleurs, absorbés par l'horizon, fixaient un point invisible. Il embrasait le monde de son oeil attentif, maquillé de poésie. Victor aimait ça ; cette manière de contempler l'horizon, si différente des autres. Ce n'était qu'un éclat en plus ; une petite étoile qui teintait ses prunelles d'un éclat sans pareil. Aucun autre ne savait observer leur environnement comme le faisait Yann.

Peut-être était-ce ça qui attisait les flammes de son amour parmi mille autres raisons, peut-être était-ce la crinière flavescente qui encadrait son doux visage... Aujourd'hui, il le sentait ; une douce aura enveloppait le corps de son ami, irréelles vaguelettes qui attiraient tous les curieux. Resplendissant, chatoyant, il se dressait en roi surplombant son château, le menton haut, l'air philosophe.

— J'espère que le ciel restera dégagé encore longtemps, dit Yann.

Cette phrase peina à venir aux oreilles de Victor ; l'on crut un murmure, sifflement des feuilles.

— Pourquoi ?

— On doit avoir une bonne vue d'en haut... Les oiseaux ont de la chance.

— C'est vrai. Ils ont une vision d'ensemble, ils peuvent admirer des choses beaucoup plus loin que nous. J'ai toujours voulu partager leur vision, au moins une fois.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant