Mais la nuit reprit bien vite ses droits. Les étoiles blafardes brillaient au-dessus des têtes des trois amis. Elles dardaient sur les rues désertes un halo nitescent. Les yeux brillants et rieurs qui erraient dans l'amicale pénombre regardaient à présent ces astres silencieux.
Dans le ciel qui couvrait les rires festifs, quelques nuages acerbes s'élevaient. Quelle pluie acide cachaient-ils en leur sein solitaire et errant ? Et quelle pleine lune, toute ronde et laiteuse, se dissimulait dans les hautes sphères célestes, derrière ces nébuleuses ténébreuses ? L'oeil glacial de Diane observait les hommes ; tandis que par delà les façades grises et marbrées résonnait les douze glas du nouveau jour.
Les trois adolescents, toujours à l'extérieur du bar, se remettaient d'un nouvel éclat de rire qui les liait depuis quelques secondes. Puis après la nuit et ses nuages filandreux, ce fut autour du silence, calme et apaisant, de regagner son autorité. Les trois lycéens laissèrent leurs yeux courir sur les voitures ronronnant dans l'obscurité.
Le brun, adossé contre un mur, regardait tantôt les rues partiellement animées, tantôt Yann. Ce dernier se tenait, les mains dans les poches, dans la même position que lui, adossé au mur adjacent. La tête inclinée vers le ciel, sa respiration paisible faisait bouger sa poitrine largement, comme s'il se devait d'aspirer tout l'air du monde. Victor, les yeux dans le vague, fixait un point dans le néant, quelque part entre la rue d'en face et la chevelure de blé de celui qu'il aimait.
Une armée de questions baignait à présent dans son esprit, parmi laquelle l'une d'entre elle, plus coriace, baignée d'une lumière écarlate, revenait frapper son esprit, comme un refrain entêtant, revenant encore et toujours cogner son cerveau ; un refrain rebondissant, qui recommençait chaque fois qu'il apercevait l'oeil brillant de l'amour.
Victor sursauta. Le blond s'était avancé et s'était posé près de lui. Il n'osa pas bouger, un peu surpris par ce rapprochement. Il se corrigea alors mentalement ; par ces rapprochements, qui se multipliaient de plus en plus depuis quelques temps. Son coeur cognait plus fort dans sa poitrine, tandis que ses entrailles se retournaient continuellement.
Cette musique intérieure qui résonnait en lui, il la ressentait dans chacun de ses os, chacun de ses muscles, de ses nerfs, de ses veines, de ses organes. Tantôt, son être entier grondait dans une cacophonie d'excitation, tantôt il croyait que le vide abyssal s'était logé en lui, que ses organes avaient été dévorés par un gigantesque trou noir interne.
Ce sursaut fut redoublé par une sonnerie désagréable, qui le délogea violemment de ses pensées et le fit sortir de son état contemplatif. Il regarda dans sa poche, mais il n'y avait rien. Une angoisse naquit dans son esprit et s'y installa le temps d'une seconde.
— Où est mon téléphone ? grogna-t-il en fouillant dans son pantalon.
Soudain, il vit Yann tendre son bras vers la poche de son manteau. Victor arqua un sourcil et le regarda. Le jeune auteur sortit la main du vêtement de son ami.
— Ici, dit le blond en lui tendant l'appareil. Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez...
— Oh, ça va, ronchonna Victor en l'attrapant. Ah, mais... J'ai pas de messages...
— Normal, c'est moi, intervint Mathéo.
— Si tu pouvais ne pas avoir la même sonnerie aussi...
— Si t'as la même que moi, ça veut au moins dire que tu as un peu de goût, non ?
Victor se para d'un sourire légèrement amer ; il ne savait pas s'il devait prendre cette réflexion comme une petite attaque ou une plaisanterie. Il préféra considérer la deuxième option. Il ne connaissait pas Mathéo ; il ignorait donc s'il était mauvais ou non. Mais il connaissait la bêtise crasse de l'humanité. Mais s'il était le meilleur ami de celui qui était sa lumière, son étoile, son soleil, alors il pouvait bien se permettre d'abandonner un peu sa faculté à juger les autres.
VOUS LISEZ
Lie tes ratures
Teen Fiction"Montre-moi toute la grandeur de ton amour." Victor, à dix-sept ans, est follement amoureux de son camarade de classe, Yann. Cependant, il ne le lui a jamais dit. Il est resté silencieux pendant plus de deux ans, continuant à rallumer de temps en te...