Juin - 3.

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Victor regarda la fenêtre d'un air maussade. Dehors, le bleu du ciel le narguait. Il soupira. Le cours venait à peine de commencer qu'il s'ennuyait déjà. Le brouhaha de la classe l'insupportait ; il n'avait ni la tête ni le coeur à participer à ces joyeux bavardages où se mêlaient l'angoisse des dernières heures du lycée et l'intense désir des vacances libératrices, les deux apportant son lot de conséquences.

D'un rapide coup d'oeil, le brun observa la chaise voisine. Il n'avait aucun grief contre Louise, mais sa simple présence l'agaçait. Quitte à ne pas être à côté de lui, puisque monsieur avait décidé de s'exiler à l'autre bout de la classe, autant être seul. Mais il n'avait pas osé refuser à cette pauvre fille le droit de s'asseoir à ses côtés, il avait seulement bougonné, le menton posé sur sa main, l'air plus ennuyé que d'habitude. Elle avait bien essayé d'engager la conversation, mais avait aussitôt abandonné devant l'air glacial qui se présentait devant elle.

Aujourd'hui, Victor ne désirait qu'une seule chose : quitter cette masse grouillante de lycéens, traverser la ville et rentrer chez lui pour se coucher. Sans parler à personne. Il essaya tant bien que mal de ne pas trop songer, mais chaque fois qu'il essayait d'échapper au flot de ses pensées, c'était peine perdue.

— Victor. C'est ici que ça se passe, l'interpella son prof.

Il marmonna une excuse, tenta de reprendre le fil du cours en ignorant les rires et chuchotements de ses camarades, sans plus de succès. Il fit donc ce qu'il faisait de mieux : jouer le jeu. L'adolescent nota quelques phrases de son cours, acquiesça vaguement lorsque le regard professoral croisait le sien, prêta sans un mot un stylo et une feuille à Jordan — le grand gaillard avait tendance à venir en touriste à la fin de l'année —, attendit sagement la sonnerie en évitant soigneusement d'avoir à parler à qui que ce soit. Lorsque retentit sa délivrance, il empoigna ses affaires, marcha jusqu'à la sortie de la classe en ignorant soigneusement Yann et continua son chemin jusqu'à la prochaine classe, où l'effroyable machine se remit en branle.

Il répéta son rôle bien huilé tout au long de la matinée, comme il l'avait fait ces trois derniers jours. Quand une ombre bienveillante semblait sur le point de percer sa bulle, il fuyait ; aux toilettes, dans la cour, n'importe où tant qu'on ne le suivait pas. Quand il n'avait rien à dire, il ne disait plus rien. Le simple bruit de sa conversation passée lui suffisait amplement, l'empêchant simplement de penser correctement.

Je ne suis pas le seul à m'enfoncer.

Cette phrase tournait en boucle dans son esprit, vieux disque vinyl rayé qui ressassait des mémoires en noir et blanc, des mémoires passées qui avaient un goût amer. Cette phrase ricochait dans sa tête, lui arrachant à chaque choc toujours plus de larmes.

Les jours s'étaient écoulés et avaient creusé un gouffre entre les deux adolescents. Un gouffre que Victor ne se sentait pas prêt à franchir. S'il faisait un pas, il était certain de tomber dans les abysses. Et même s'il parvenait à le faire, il n'était même pas sûr que Yann réponde à son appel. La sensation barbare sur ses mains ne voulait pas s'enlever. Il avait levé la main sur son petit ami, l'homme qu'il chérissait, son confident, son meilleur ami, l'âme avec laquelle il voulait redessiner le monde. Il le savait, il le sentait : le pardon ne lui était plus permis. Il avait franchi une limite qui ne se franchissait pas, une barrière qui ne se brisait pas. Il ne l'avait pas frappé, mais il l'avait empoigné violemment par le col. C'était déjà bien trop.

Cette pensée le déboussolait, faisait monter les larmes, meurtrissait son esprit. Alors, il se forçait à respirer profondément. Il ne pouvait se permettre de faiblir et revenir sur sa position. Sa colère bouillonnait toujours. Il ne comprenait pas pourquoi Yann oubliait quelque chose d'aussi vital. Leur bonheur ne comptait-il pas ? Avait-il oublié leur promesse ? Il se doutait de l'issue fatale qui les attendait, l'arme au poing, pour trancher leurs espoirs ; mais Victor refusait de se rendre sans porter de coups. Il ne l'avait pas fait avant, ce n'était pas pour abandonner maintenant.

Lie tes raturesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant