Les mains moites enfoncées dans les poches de mon jean, je fixe les écritures dorées apposées sur le marbre blanc. En retrait des autres tombes je leur voulais une place à part. Sous un olivier. Un endroit où je pourrais m'allonger près d'eux sans le regard d'autrui braqué sur moi. Où mes je t'aime n'entreraient pas en collision avec d'autres oreilles.
Juste eux. Et moi.
Pourtant aujourd'hui, je ne me sens pas digne d'être ici. En cinq ans, mes pieds n'ont jamais réussi à passer le grand portail en fer forgé. Jamais. Chaque jour, je suis bien là. Les doigts enroulés contre cette foutue grille, contemplant au loin pendant des heures, les branches de cet arbre virevoltant au gré du vent. Souriant à chacun de ses mouvements. Murmurant des je vous aime à chaque battement de mon propre cœur.
Aimer aussi fort et ne pas réussir à se glisser près d'eux, je n'ai jamais su me l'expliquer.
Jusqu'à elle. Une tornade que je n'ai pas vu venir.
Les yeux humides je parviens à me mettre à genoux, avant de venir timidement poser mes paumes sur le marbre du caveau. Une sensation de brûlure remonte le long de mes bras avant de comprendre que tout se passe dans ma tête. Juste ma tête. Les orchidées blanches et fraîches me font esquisser un léger sourire. Clément lui, ne loupe pas un seul jour de visite. Les petites feuilles de bloc-notes plastifiées, glissées entre les fleurs préférées de Charlie en viennent à me faire Chialer. Sale petit con.
Aide-le Charlie. Je t'en supplie. Aide-le à te laisser partir. Je t'aime.
Tu n'as pas le droit de le laisser se tuer à petit feu. Je sais que tu l'aimes assez pour comprendre où je veux en venir. Je t'aime.
Je commence à le retrouver, Charlie. Qui a donc tu mis sur son chemin? Tu sais quoi, peu importe du moment que je le vois vraiment sourire. je t'aime.
Chaque mot m'éclate en pleine tronche. Levant les yeux au ciel pour apaiser les tourments de mon âme, j'aperçois une autre feuille, plus grande, suspendue à un bout de ficelle sur une des branches de cet arbre majestueux, si symbolique à mes yeux. Une écriture plus fine, plus féminine aussi. Une grenade qui m'explose le cœur en millier de fragments. Les jambes flageolantes, je parviens tant bien que mal à me redresser, avant de venir frôler du bout des doigts la pochette plastique protégeant ce trésor.
Pourquoi elle ma Charlie, pourquoi...
Charlie,
Je te demande pardon. Pardon d'être tomber amoureuse du seul qui m'était interdit. Il sera toujours à toi, sache-le. Un amour à sens unique, après tout je ne méritais que ça. Ma naïveté encore une fois aura eu raison de moi. Julian n'aimera à jamais que toi. Moi je ne suis qu'un simple antiseptique, qui de temps à autre permet d'éviter une surinfection à son cœur. Je l'ai compris à notre retour. Quand il m'a donné la clé de son cœur. Quand il a crû me la donner. Si ses yeux n'étaient que sincérité, son corps lui m'a livré une tout autre version. Un mois à trouver mainte excuse pour découcher. À éviter ma tendresse. Mes baisers. Préférant encore une fois son travail aux explications. Il y aura toujours une barrière entre lui et moi. Tu es cette barrière Charlie. Un interdit que son cœur s'interdira de franchir. Quoi que je fasse. Je suis ta petite sœur, et ça il ne l'oubliera pas. Un amour à sens unique ne me suffira pas. Même si je n'ai jamais aimé autant un homme que lui, je préfère arrêter avant qu'il ne détruise mon cœur à cause de ses propres peurs. Tu n'as jamais eu de concurrence Charlie. Pardonne-moi encore . Je t'aime.
Une colère sourde s'empare soudain de tout mon corps. D'un geste brusque j'arrache cette foutue feuille, avant de la tendre en direction de ma femme.
— Putain elle n'a rien compris! je m'emporte en m'adressant à un foutu bout de marbre.
Les mains m'arrachant presque les cheveux je ne peux plus m'arrêter. Les mots glissent sur ma langue sans que je ne parvienne à m'arrêter.
— Je ne suis qu'un pauvre con ! Oh oui c'est ce que tu penses Charlie, je te connais. Je ne voulais personne dans ma vie. Juste baiser pour t'oublier le temps de quelques secondes. Mon cœur de glace me convenait très bien, bordel! C'est là que tu me traiterais de menteur. Et tu aurais raison! J'ai eu beau me comporter en pire connard, une main magique parvenait toujours à extirper des profondeurs celui dont je ne voulais plus. Celui que je croyais ne plus vouloir. Et puis un jour, cette main a disparu de la circulation pendant huit foutu mois. Sans aucune explication. Je l'ai détesté. Oh oui, je l'ai détesté. Puis un jour cette traîtresse est revenue, tout sourire. Comme si rien ne s'était passé. Comme si elle n'était pas partie avec un bout de mon cœur. J'aurai voulu avoir le courage de lui claquer la porte au nez, mais je n'ai pas pu. Dès lors que ses yeux noirs ont pénétré les miens, je savais que j'étais foutu. Le vrai premier électrochoc c'était celui-ci. Ma boussole était revenue et je me suis juré de tout faire pour la garder près de moi. Mais je te promets que je ne me doutais pas de la tournure qu'allait prendre la suite. Petit à petit nous avons repris nos vieilles habitudes. Moi dans ses bras devant un film, elle dans mes bras avant de m'endormir. Et puis je me suis mis à la trouver jolie. À aimer son côté rentre-dedans mêlé à un beau grain de timidité. J'ai tenté de me raisonner, je te jure. Mais son foutu sourire à chaque fois anéantissait tous mes efforts. Et il y a eu ma virée professionnelle. Et cet enfoiré de Jay. Je te promets qu'il ne sortira pas de cette prison avant de crever!
D'un coup de pied j'envoie valser les petits cailloux bordant les tombes avant de poursuivre.
— Pour la première fois je me suis mis à ressentir de la jalousie. Je n'ai pas aimé son regard sur elle. Sur son corps. Si elle avait toujours été ma boussole, il était temps pour moi de lui prouver que j'étais son rocher. Ses lèvres, un pêché vivant auquel je n'ai pas pu résister. Son corps contre le mien a signé ma perte. J'ai regretté. Oh oui j'ai regretté. Ma tête transformée en véritable capharnaüm, j'ai mis du temps à comprendre. Jusqu'à ce qu'elle me demande de l'inscrire sur ma liste. Dis-moi que je suis un enfoiré Charlie, s'il te plait. Dis-le moi !
—Tu es un enfoiré, Julian.
Une voix grave dans mon dos me fait bondir sur place. Je n'ose même pas me retourner pour voir sa gueule. Si Clément a tout entendu, je suis foutu...
— T'es là depuis quand, j'ose demander d'une voix d'outre-tombe.
— Depuis que tu as remarqué la feuille pendue sur l'arbre.
Je le sens sourire à travers ses paroles ce qui m'incite à me tourner vers lui. Je n'aurai pas dû.
Bordel, je n'aurai pas dû.
La tête contre la poitrine de son frère, mon petit bonbon me fixe les yeux embués. Les cheveux relevées en un chignon bordélique, un pot d'orchidée dans les mains , je ne parviens plus à la lâcher du regard. Pas besoin de parler. Nous le savons tous les deux. Dans son jean et son petit débardeur rouge loin d'être provocant, je ne vois qu'elle.
— Je vous laisse discuter tous les trois, nous coupe Clément avant de déposer son orchidée et de s'éloigner.
Merci Clément de me laisser dans la merde, je te revaudrai ça.
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Au-Delà Des Apparences
РомантикаAvocat au caractère bien trempé, Julian ne lésine pas sur les moyens, quand il s'agit de sa carrière. Un pion après l'autre, il se joue des plus grands. Un appétit insatiable, qui ne se cantonne pas aux salles d'audiences. En quête perpétuelle d'...