JULIAN

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Une serviette nouée autour de la taille, les doigts agrippés au lavabo, j'étouffe. Comme chaque soir, mon traître de corps à la révolte facile. La gorge en feu, je laisse le premier sanglot, se faire la malle.

Accepter sans broncher. Le choix, je ne l'ai pas. Si je veux pouvoir mener à bien ma mission, je dois continuer à l'accepter.

Lui, mon reflet maudit. Ma faiblesse. 

Le même, qui très bientôt, rejoindra le royaume d'Hadès.

— Ça va, mon pote ?  m'interpelle une voix grave et mélancolique à travers la porte de ma chambre, m'accordant un bref retour dans la réalité.

Toujours là à s'inquiéter pour moi, alors qu'il ne le devrait plus. Pas après l'horreur, dont je sais qu'il ne se relèvera jamais.  Mes braillements transformés en cris de plaisir, je remets en place mon masque de façade.

— Ouais, j'astique ma queue ! Tu veux m'aider ? je rétorque, un rire faux envahissant ma petite salle de bain défraîchie.

Un bruit de vomissement résonnant contre le bois, j'ai ma réponse. Clément me connaît. Beaucoup. De la Maternelle à la fac, ça aide. Si nous partageons une douleur commune, l'envers du décor est encore plus difficile. Un jardin caché, où les feuilles mortes règnent en maître. Où ma colère contre moi-même ne lui sera jamais dévoilé.

Il est ma punition où le pardon n'aura jamais sa place.

Où le ciel ne trouvera plus la lumière.

À poil, les cheveux à peine essorés, je m'extirpe de la pièce à la peinture écaillée, la poitrine en feu. Les doigts fourrageant ma tignasse, je m'accorde une respiration profonde. Puis une autre. Assez pour faire redescendre ma colère. Suffisant pour ouvrir à nouveau les yeux, et tomber nez à nez sur ce grand pan de mur aux souvenirs indélébiles.

D'un pas fragile, je m'avance vers notre lit, où son odeur demeure intacte. Lentement, mes doigts caressent la couverture en satin rouge. Un sourire douloureux en ligne de mire, le tissu broyé par mes doigts, je laisse mon précieux rituel prendre le dessus. Une larme solitaire en guise de bonsoir, et mes yeux partent déjà à la rencontre de cette photo. 

Un cliché en noir et blanc, protégé par un cadre au format démesuré.

Postée au-dessus de la tête de lit capitonnée, mes paumes sur son ventre arrondi, sa bouille amoureuse lovée contre ma poitrine, la vie n'avait jamais été plus belle.

Une image, où le temps s'est figé.

La pulpe de mes doigts effleurant la surface du verre, un simple geste qui pousse ma rage à reprendre le dessus. Le poing dans ma bouche, mes phalanges limite à sang, ma tenue posée en équilibre sur la poignée de porte a désormais toute mon attention. En deux pas, j'arrache mon armure de son support. 

Et sans un regard en arrière, je m'éloigne encore un peu plus, de mon halo de lumière.

Une promesse est une promesse, Charlie.

Très bientôt, ce monde ne sera plus le mien. 


                                                                                 ⁂

Garé sur la dernière place du parking privé, l'épaule appuyé contre la portière de mon SUV, je fixe la plaque en bronze vissée sur une imposante porte en bois. 

Pas de doute, je suis bel et bien au bon endroit. 

Si à première vue, la façade en pierre laisse penser qu'il s'agit là d'une belle maison de campagne aux voisins inexistants, la lanterne rouge suspendue au porche voûté, casse rapidement cette première impression. Un lieu encore inédit pour ma part, je dois l'avouer. En même temps, pas besoin de me la jouer Christian Grey, pour tirer un coup.

Au-Delà Des ApparencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant