Garder la tête froide, devant la tempête qui se forme sous mes yeux embués. Je n'ai pas le choix. Flancher, signerait incontestablement son arrêt de mort.
Ses doigts agrippés fermement à la rambarde d'escalier, il me bute littéralement de ses yeux verts perçants. Inutiles, sont les mots. Sans mal, à travers ses traits crispés et sa bouche tordue par la douleur, je lis en lui, comme dans un livre ouvert.
Tout, mais pas la trahison mon pote.
Mon regard désolé se frayant un chemin à travers sa cascade de colère, il secoue vivement la tête sans jamais quitter mon visage des yeux.
— Enfoiré, il crache entre ses dents avant d'envoyer valser son poing libre dans le mur opposé .
Un rapide coup d'œil sur ma droite, me confirme qu'Abby semble tout autant bousculée que mon meilleur ami. Dans les bras de Meghan, son petit corps chétif se fait bercer.
Elle n'était pas prête. Et ça ne devait pas se passer ainsi.
Trop tôt. Trop tard.
Dans tous les cas possibles, il n'existe aucun timing précis, pour recoller les morceaux d'un cœur brisé.
En trois enjambées, je me glisse entre lui et le béton. Bonne idée ou pas, je n'ai pas l'intention de le laisser se démonter la main.
— Vas-y, frappe ! je lui ordonne sans possibilités de refus.
Fou de rage, il se redresse et réarme son poing gauche sans la moindre hésitation. Retenant mon souffle, je m'apprête à fermer les yeux, quand soudain une voix ferme au pouvoir magique stoppe instantanément son geste, à deux pauvres centimètres de mon pif.
— Ne fais pas ça !
Même abîmée par la vie, elle garde les rênes. Dans sa salopette large en jean, elle paraît tellement fragile. En contraste total, avec l'autorité inondant le bleu océan de ses iris.
La revoilà, notre Abby.
— Regarde-la, Clément. Elle mérite au moins ça, je l'implore tout bas
Mais il n'en fait rien. Sa main toujours en suspension, un à un, je vois ses doigts se détendre. Mais pas assez, pour éteindre les flammes de l'enfer flottant au cœur de sa rétine. Comme pour éviter de s'effondrer, il plaque ses deux paumes de chaque côté de ma tête, avant de plonger son visage dans le creux de son avant-bras.
Et là, je l'entends.
Un simple souffle.
Où il scie, ma poitrine en deux.
Où mon cœur supplie le sien, de venir s'y réfugier.
— Peux pas, Julian. Dis-moi juste que j'ai pris la meilleure décision qui soit. Putain, dis-moi que je ne suis pas responsable, de ça...
Je saisis immédiatement, là où il veut en venir.
L'imposant foulard jaune, étouffant le crâne d'Abby. Sa silhouette si fine, qu'une simple bourrasque la ferait à coup sûr virevolter dans les airs. Sans parler de son teint cireux, recouvrant chaque partie visible de son épiderme. Même son tatouage dans le creux de sa nuque, a perdu de sa lumière. Un cadenas tout en ombre, où la serrure forme un C.
Je n'ose imaginer sa réaction, s'il venait à voir tout de suite l'état de son visage...
Mon silence, le fait relever la tête. Complètement hagard, les yeux humides, il me supplie d'apaiser sa conscience. D'éteindre ses feux de détresse.
Mais je ne peux pas.
En tout cas, pas comme il aimerait l'entendre.
— Non, Clément, tu n'es pas responsable de son cancer, j'affirme sans la moindre hésitation.
Un soupir de soulagement passe la barrière de ses lèvres. Mais il sait que je suis loin d'en avoir terminé. Mon regard dur et déterminé, il en connaît chaque petit morceau. Les biceps contractés, sa respiration entrecoupée, il me demande d'un simple clignement d'yeux de poursuivre.
— Mais concernant son cœur, Clay... tu as foiré dans les grandes largeurs. Il n'est plus question de savoir, si tu peux ou si tu ne peux pas, mon pote. Que tu le veuilles ou non, tu vas te sortir les doigts de ton p'tit cul et tu vas nous aider. Tu vas l'aider, elle.
Mes derniers mots agissent telle une bombe. De ses bras puissants, il pousse sur la cloison. Droit comme un piquet, il me renvoie en pleine gueule ma trahison. Deux, pour être plus exact.
— Tu as été trop loin, Ju'. Mes deux sœurs et maintenant... elle, il me crache avec amertume, un sourire mauvais imprimé sur ses lèvres.
Je vais le buter .
— Elle, elle s'appelle Abby, petit con !
Mes doigts se crochetant à l'encolure de son tee-shirt, mon torse vient buter sans douceur contre la fermeté de son buste. Des hoquets de surprise fusent, mais je n'en fais pas cas. Tout comme lui. Deux lions où chacun essaie de défendre son territoire.
Où, pour la toute première fois, nous n'appartenons plus au même camp.
Ses bras le long du corps, il ne cille pas. Pas même quand mon front vient cogner le sien.
— Julian, arrête s'il te plaît, supplie une voix angélique, qui me tire une moue diabolique.
Mon petit bonbon, si tu savais comme je t'aime.
— Tu peux me détester autant que tu veux, enfoiré, mais je ne te lâcherai pas ! Transforme-moi en Quasimodo si ça te chante, appui là où ça fait mal, si ça peut t'aider à oublier les petits sauts périlleux que réalise de ton cœur à cet instant précis, mais sache une chose, frérot: à ce petit jeu, je suis le plus fort. Ta clef c'est elle. Ça n'a toujours été qu'elle. Alors comporte-toi en bonhomme, et rampe. Rampe aussi longtemps qu'il le faudra. Mais ramène-là à la maison!
Collé à son oreille, à l'abri de celles des filles, je sais que j'ai visé juste. Quand je vois sa tête se tourner avec appréhension vers la gauche, je ne peux réprimer un sourire de satisfaction.
— Qu'est-ce que j'ai fais...
Cinq mots, à la détresse désarmante
Cinq mots, avant qu'il ne me repousse violemment.
Cinq mots, où la fuite a pris le pas sur la douleur.
Il va y arriver.
NOUS allons y arriver...
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Au-Delà Des Apparences
RomanceAvocat au caractère bien trempé, Julian ne lésine pas sur les moyens, quand il s'agit de sa carrière. Un pion après l'autre, il se joue des plus grands. Un appétit insatiable, qui ne se cantonne pas aux salles d'audiences. En quête perpétuelle d'...