Chapitre 1

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C'est la rentrée.

La maternelle de "La Sérénité" ouvre ses portes aux petits enfants, sous un ciel bleu et rafraîchissant. Accompagnés de leurs parents, les chérubins s'agglutinent devant le portillon en se jetant des regards en biais. Parfois curieux, parfois amusés, le premier contact se fait sentir. Pour la plupart à leur première journée au sein de cette petite institution très réputée pour les enseignants attentifs et qualifiés, la timidité et l'inconfort se lisent sur les visages apeurés et larmoyants. Parents comme enfants, il est toujours difficile de se séparer après l'été.

Ennuyé de devoir attendre comme les autres, un petit garçon resserre les cordes de son nouveau sac à l'effigie d'un super-héros qu'il affectionne. Yassen Rawy, un bonhomme à la peau ébène pas plus haut que trois pommes, aux joues bien pleines et au regard déterminé, se moque intérieurement des petits nouveaux qui vont se faire bouffer à la cour de récré. Lui, c'est un caïd, il n'a plus besoin d'aller au pot, ne porte plus de couches et il ne pleure jamais quand sa maman le laisse aux mains de la maîtresse qu'il aime tant. D'ailleurs elle est son amoureuse, il va l'épouser quand il sera en CM1. Il trouve qu'il est assez mature pour le préparatoire, du haut de ses quatre ans. Pourtant sa mère insiste qu'il fasse sa grande section à son pur désarroi.

Derrière ses petits yeux malicieux, il se trouve trop vieux pour devoir supporter toutes ces pleurnicheries. Il voit une fille qui ne veut pas lâcher la main de son papa, une scène qui l'agace. Elle salit la réputation des maternelles avec cette attitude. Il a hâte qu'on ouvre et qu'il fasse des bêtises. Yassen est très doué pour faire des bêtises, mais pas de ceux que la maîtresse peut voir, ben non, il est un caïd très discipliné. Lui, il préfère faire des blagues, c'est plus discret et on ne peut jamais le soupçonner.

Le petit diable est souriant, la rentrée ne lui fait pas peur. Il va retrouver son camarade de table Félix et tout ira bien. Alors qu'il imagine de nouveaux plans, une petite boule ensevelie derrière une grosse doudoune jaune passe à côté de lui et le fait presque tomber. Yassen n'est pas content, il le fait savoir !

— Tu m'as fait tomber !

La chose qui n'a pas encore de nom se retourne les yeux effrayés. C'est un petit garçon, aussi joufflu que lui. Yassen frissonne, il est frappé par la frimousse enfantine toute lisse qui le fixe de ses gros yeux. Il connait tout le monde d'habitude, mais cette tête ne lui dit rien. Ce qui le choc surtout c'est qu'il prenne son temps pour le regarder, alors qu'il n'aime pas les autres enfants. Doudoune jaune baisse les yeux directement, très apeurés.

Le fautif demande pardon d'une voix si fine que le caïd se demande s'il n'est pas sourd. Doudoune jaune joue avec ses doigts dodus en se mordant la lèvre, puis il tapote les genoux de son camarade pour retirer de la poussière imaginaire.

Yassen soupire, un nouveau qui va se faire bouffer tout cru. Il n'aime pas les nouveaux, ils sont parfois des catastrophes. "Frimousse de bébé" attend d'être pardonné, mais le caïd est indifférent à sa présence. Il n'aime pas les autres enfants. De loin il aperçoit la maman de Félix, il explose de joie. Félix, le seul albinos de la classe, apparaît et se met à courir vers les autres. Yassen espère que c'est lui qu'il cherche.

— Viens chéri, dit sa mère.

Le portillon est ouvert, youpi ! Il s'empresse de prendre la main de sa maman et ne fait plus attention à rien. Il est tout content et tout pressé de faire le malin. Personne ne pourra le détourner de sa mission !

Derrière lui, une petite boule de nervosité refuse de bouger alors que sa propre mère lui demande gentiment d'avancer pour rejoindre la directrice qui accueille tout le monde.

Jonathan Bertolo a les yeux qui picotent. Il a la larme facile. Il a fait tomber un nouveau camarade, son avenir est terni. Il savait qu'il devait continuer à faire le malade, ce n'était pas le bon jour pour échouer son arrivée, ce n'était pas censé se passer aussi mal. Il est nouveau, il veut se faire plein de copains, mais là il a un doute. Imperméable bleu n'a pas accepté ses excuses, il ne sait pas comment le prendre. D'habitude on dit qu'il est si mignon qu'on peut tout lui excuser, mais son super pouvoir n'a pas fonctionné sur le garçon, Jona est triste.

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant