Chapitre 14

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Entourés d'un silence réconfortant, les garçons se laissent porter par les balançoires.

— Je pense déjà que tu devrais parler de la convocation à ta mère. Tu imagines si elle l'apprend de quelqu'un d'autre ?

— Je sais, mais c'est si difficile. J'ai vraiment utilisé toute ma force pour lui déboîter la mâchoire.

— Quoi ? Tu es si fort que ça ?

— Apparemment, dit-il insouciant.

Yassen peine à le croire. Jona a toujours été celui qu'on protège de tout et là il peut casser la gueule au premier venu ? Il luttait contre quoi, un poussin ?

— Je me sens trop mal maintenant. Pas parce que je l'ai tabassé, mais parce que je l'ai fait devant témoin. Erxio dit que j'aurai dû le faire après les cours pour être sûr qu'il n'y ait aucune preuve.

— Il est de bons conseils cette fois-ci.

Ils rigolent.

— Je pense que si tu dis très vite la vérité à ta mère, les conséquences seront moins graves. Elle est ton premier soutien avant tout, Jona. Si tu ne le fais pas, sur qui d'autre pourrais-tu compter ? Léon par exemple ?

— Léon ? Ça ne me dit rien.

Yassen roule des yeux. Même si la relation entre sa mère et le scénariste est officielle depuis deux ans, Jona ne fait pas table rase de sa légère antipathie pour le personnage. Félix a tout fait pour qu'il comprenne que cette figure paternelle à la maison est un avantage pour lui, mais non, il s'obstine à ne pas l'aimer. Selon Yassen, Jona apprécie déjà son futur beau-père, juste qu'il a du mal à l'accepter, surtout quand il a malencontreusement surpris les deux adultes au milieu de la nuit qui batifolaient dans "sa" salle de cinéma alors que le soi-disant copain de sa mère étaient censé avoir quitté la maison trois heures plus tôt.

« TRAHISON ! » avait-il hurlé bien après avoir utilisé toutes ses cordes vocales pendant le choc.

Jona venait de découvrir la dure réalité : Sa mère est sexuellement active. Il n'a pas arrêté de bassiner tous ses amis avec cette découverte, bien que tout le monde le savait. Sa naïveté a fait un bond dans un bateau et n'est plus jamais revenu. Il lui a fallu sept mois pour se remettre de cette scène.

Aujourd'hui encore il fixe sa mère étrangement.

— Bien. Sérieusement, dit-il en cessant de se balancer. Par rapport à Haïti et ton exposé, je pense que si on regarde de plus près, c'est une belle opportunité.

Jonathan arrête de se balancer à son tour. Au loin il aperçoit des gens qui viennent au parc avec leurs enfants. Cet endroit doit être plus animé que son quartier durant les weekends.

— En quoi c'est une belle opportunité ? Tout ce que ça me rappelle c'est que je suis sans identité fixe.

— Jonathan, c'est quoi une identité pour toi ? Savoir qui est ton ancêtre ? Savoir ta langue maternelle ? Connaître l'hymne nationale du pays ?

— Oui, Yassen. Regarde-toi, tu ne te poseras jamais la question.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Je suis né ici en France, je connais toutes les rues de ce quartier et ceux près de mon collège, mais je ne pourrais pas aller dans mon village même si on m'indiquait avec une carte.

— Ce n'est pas si grave. Ta mère t'aidera.

Yassen sourit en prenant une impulsion sur ses jambes avant de lâcher pour se laisser porter par la balancelle.

— Je ne peux pas être à ta place, mais je sais que ce n'est pas évident pour toi. Je suis mal placé de comparer, mais si on y pense, nous ne sommes pas si différents en fait. Tu n'as jamais vu Haïti, je suis allé au pays qu'une fois et j'étais tout minuscule. Je ne sais de mon pays que ce que ma mère me dit, un peu comme Google le ferait pour toi. Faire un exposé pour moi serait aussi simple que toi qui demanderait les services d'un vrai haïtien. Alors qu'est-ce qui te manque réellement ?

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant