Chapitre 13

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— Quel rat, je peux faire mieux à cette cochonne.

— Hakim, tu es dégueulasse, s'amuse Yassen en avalant ses popcorns.

Devant une scène de sexe dans un film d'action diffusée à la télévision, les deux amis rigolent en se moquant des performances de l'acteur. Hakim commente tout en faisant rire son ami aux éclats. Ce dernier a tellement mal au ventre qu'il se couche sur le divan pour essayer de se calmer. À douze ans, Yassen n'est plus le caïd de primaire, les choses sont plus compliquées maintenant. En cinquième dans le même collège que son cher Hakim, qui du fait d'avoir redoublé son certificat d'études se retrouve en quatrième, les garçons passent tout leur temps ensemble. Les conditions sociales ont pris le pas sur le trio inséparable de primaire. Félix est dans un collège plus près du domicile de ses parents, alors il ne voit Yassen qu'après les cours ou le week-end, toutefois leur amitié est toujours aussi forte. Jonathan par contre est dans un collège huppé. Après une longue discussion avec sa mère, il n'a pas eu son mot à dire sur la suite de ses études, c'est la vie.

Une fois tous les deux ou trois semaines, le trio se fait une sortie, mais c'est tout. Jonathan en souffre affreusement depuis deux ans. Écouter la voix de ses amis au téléphone ne lui suffit pas. Yassen le sait, son ami pleure toujours pendant leur conversation, il ne peut rien changer cela. Il s'est déjà fait une nouvelle amie et il a les triplés qui ne sont pas loin, Yassen pense que finalement c'est Hakim avait raison.

Et si un jour tout ceci s'arrête ?

Il me manque tellement.

— Je peux te demander un service ?

Hakim baisse le volume de la télé pour se concentrer sur lui.

— Tu as des unités ? Je veux parler à Jona de la représentation au collège.

Hakim dépose la télécommande avant de répondre.

— Je veux savoir un truc, pourquoi c'est si important pour toi qu'il soit là alors que Félix et moi sommes déjà là ? Tu sais déjà qu'il ne viendra pas, on le sait tous.

Oui, Yassen le sait. C'est probable que sa mère trouve une autre excuse pour les éloigner. Il sait qu'elle est une bonne personne, mais peut-être qu'elle pense plus au futur de son fils qu'à ses fréquentations. Elle appelle encore sa mère, donc il reste positif sur le sujet, Mélinda pourrait accepter.

— Je veux juste qu'il sache. Ce n'est pas si grave qu'il vienne ou pas.

— Je ne te comprendrais jamais.

Hakim lui prête son portable et il compose le numéro de Jona. Après deux tentatives, la voix qui mue de son meilleur ami se fait entendre de l'autre côté du combiné. Il en frissonne. Yassen n'a pas encore eu cette chance, il envie un peu ce dernier. S'il y a un petit détail qui interpelle beaucoup le malien, c'est le physique de Jona. Il a l'impression que ses épaules s'élargissent de plus en plus, sans oublier qu'il n'est plus si gringalet qu'avant grâce à la boxe et le tennis qu'il pratique plus souvent. Honnêtement ce changement le chamboule un peu. Il lui arrive de bafouiller ou de perdre le fil de ses pensées quand il prend le temps de l'observer. Jonathan était déjà sûr de lui à l'époque, aujourd'hui c'est pire. Il sait qu'il lui fait de l'ombre dans la rue.

De son point de vue, bien qu'il a une carrure naturelle pour son âge, Yassen a l'impression d'être en retard de croissance. À côté de lui, Hakim a déjà des poils aux parties génitales, une voix plus profonde et une libido prononcée, un peu comme tous les garçons de son quartier. Félix a un peu grossi mais rien d'alarmant et il a déjà eu son premier baiser et une "vraie" petite amie.

Parfois agacé, il aime aller sur internet pour se comparer à d'autres enfants de son âge, ça le rassure de se dire que tout est temporaire et qu'il deviendra peut-être plus grand ou plus costaud, parce que là... c'est un peu la honte.

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant