Chapitre 29

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Au clair de lune, emportés par la mélancolie du moment, Yassen et Félix fixent les étoiles. Le premier raconte sa rencontre avec son père, il ne sait pas quoi penser.

— Si je me souviens bien, tu n'as pas encore fait ton rituel de passage, et pourtant tu as déjà dix-sept ans. Dans ma famille ce n'est pas obligatoire, mais mon père a tenu à ce que j'en fasse un à mes treize ans.

— Je sais, mais je ne me suis jamais dit que c'était un détail vraiment important. J'avais parfois entendu mes parents en parler, mais c'était plus des mots symboliques à mes yeux, qu'une forme de rituel traditionnel. Quand mon père l'a mentionné, je t'avoue que je n'étais pas intéressé sur le moment, mais depuis mon retour, je ne cesse de me demander ce qu'il voulait dire par «devoir d'un fils» envers sa famille. J'ai un pressentiment qu'il ne m'a pas dit quelque chose d'important, ça m'intrigue.

— Peut-être qu'il prenait cet air sérieux parce que c'est tout de même les premières vacances que vous refaites ensemble depuis leur séparation. Mon paternel nous ferait le même coup s'il en avait envie. Ta mère ne s'entend pas avec les siens, il essaie d'éviter que les choses dérapent, je pense.

— Alors tu crois que je ne devrais réellement rien dire à mère ?

— Je n'ai pas insinué cela. J'essayais juste de comprendre le point de vue de Tonton Rawy. Tout dépend de la confiance que tu lui portes. Si tu ne le sens pas, averti ta mère de ta décision d'aller passer les vacances avec sa famille, si elle te fait le coup de la mère hystérique, tu as toujours le choix de changer d'idées. On a toujours le choix face à une situation, rien n'est jamais vraiment figé.

— Euh, je pense que tu as tort. Tu peux être en difficulté et là, un choix «s'impose à toi», je n'appelle plus cela choisir, c'est plus une sentence. Et dans mon cas, j'ai le sentiment que c'est pareille.

Félix ricane en attrapant son verre d'eau qu'il avale goulûment. Yassen se demande ce qui l'amuse. Il repose son verre vide sans douceur.

— Tu ne fais que répéter ce que j'ai dit, mon ami. Tu penses vraiment qu'une décision peut nous être imposée ? Même dans les emmerdes, même au pied du mur, on a toujours le choix. Celui de prendre la résolution qui nous apparaît comme l'unique solution, ou celui de ne pas la prendre et de rester embourbé. Crois-moi, c'est toujours un choix. Et je te rejoins pour ce que tu dis à propos de ta situation actuelle. Si tu refuses la demande de ton père, c'est évident que ta famille paternelle va la porter en faute comme ils le font déjà très bien à mon avis, on va l'accuser de t'avoir influencé et la tension déjà palpable pourrait exploser. Ça c'est si tu te retires, mais si tu acceptes, ta mère se sentira peut-être blessé que tu aies choisi ton côté paternel au sien, vu la loyauté que tu lui témoignes. Peu importe ton choix, tu vas devoir en assumer les conséquences, c'est ainsi. Je ne vais pas te dire s'il y en a une qui est bonne ou non, mais à mon sens, en tant que garçon, unique fils à ton père en plus, la pression sociale qui repose sur tes épaules est lourde. Tu sais comment nos familles sont en Afrique.

— Je suis super dans la merde.

— Exactement. J'aurais voulu te donner un bon conseil, mais je ne peux pas. Je suis partagé entre les coutumes et mon éducation occidentale. Je ne sais pas comment se passe le rite de passage dans ton village, mais dans le mien, je n'ai pas été choqué outre mesure. La lutte est un trésor national après le football, c'était clair que je devais y passer.

— En plus tu as gagné.

Félix contracte son biceps et révèle un bras travaillé. Il n'est plus en surpoids, mais n'est pas musclé pour autant. La puberté et un excès de sport « forcé » l'ont aidé à surveiller sa ligne, mais cela ne veut pas dire qu'il respecte forcément son régime santé. Sarah veut le meilleur pour lui, toutefois, il est un bon vivant et s'en assume.

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant