Chapitre 57

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Tapis derrière les murmures des arbres aux feuilles qui caressent le vent, les ombres épient les deux âmes assises sur le banc public, à plusieurs mètres l'une de l'autre.

Yassen observe le profil d'Hakim, submergé de questions toutes aussi insolites les unes des autres. Par où commencer ? Quels mots utiliser ? Il ne sait pas. Seulement, il a accepté de rester pour écouter. De rester pour comprendre. De rester en silence, sans juger. Il sent qu'il y a bien plus que ce qu'il a entendu. Il ne peut pas rester un simple « je l'ai tué », parce que cela voudrait dire qu'il est face à un assassin.

À ses yeux, Hakim a toujours été tout ce qu'il y a d'imaginable, mais pas un meurtrier. Il faut qu'il sache.

— Je t'écoute.

Hakim lève la tête et observe le ciel sans étoiles. Les nuages se lient à la situation et les recouvrent d'une atmosphère lugubre.

— Tout a commencé quand... Quand j'ai compris que tu ne reviendrais pas.

Surpris, Yassen se demande en quoi cela le concerne.

— Lorsqu'à la rentrée, tu n'as pas pointé le bout de ton nez, ta mère a simplement annoncé à ma mère que tu avais décidé de finir tes études au Mali. J'étais extrêmement surpris, mais très vite... J'ai commencé à penser que tu me fuyais.

Quoi ?

— Tu t'étais enfuis après ma confession, tu ne répondais pas à mes appels, tu m'avais bloqué sur les réseaux sociaux et tu es parti sans me le dire. J'ai commencé à me dire que tu avais pris cette décision parce que tu me haïssais et que tu ne voulais plus jamais me revoir.

Yassen réalise que c'est logique. Après une telle révélation et les évènements qui ont succédé, n'importe qui à sa place aurait pensé la même chose. Yassen était très en colère, déçu et se sentait trahi, mais il n'avait pas encore songé à ce qu'il allait faire en revenant de vacances. Bien-sûr, vivre côte-à-côte après ça, aurait été très difficile émotionnellement... Mais de là à vivre dans un autre pays...

— Je l'ai très mal vécu.

Hakim a un rictus amer en se révélant ainsi. Yassen essaie d'imaginer ce qu'il a pu ressentir.

— Trop de choses se bousculaient dans ma tête au même moment. J'étais mal dans ma peau et dans ma tête. Personne n'arrivait à cerner mes sauts d'humeur et mes crises d'angoisse. Je me suis tellement détesté d'avoir mal géré les choses. Je me sentais à la fois coupable de ne pas avoir su contrôler mes envies et en même temps, j'étais en colère parce que tout le socle sur lequel je reposais mes espérances s'était effondré. Ton départ m'a fait réaliser que jamais on ne réaliserait nos rêves... ensemble. Je n'arrivais pas à contenir ma rage.

Les révélations d'Hakim interpellent Yassen. Ils n'étaient que des ados à l'époque et comme n'importe quel gosse, ils avaient besoin de repères pour ne pas avoir l'impression d'être à côté du monde qu'il les entourait. Yassen aimait parler de ses aspirations avec lui, des ambitions qui le guidaient, de ses plans pour sortir de la précarité de leur quartier. Et à chaque fois, une seule question revenait dès qu'Hakim ouvrait la bouche :

— Et moi ?

— Tu seras avec moi, bien-sûr, lui souris-je. Je ne vais pas te laisser derrière moi, jamais.

Cette interrogation n'était qu'une phrase à ses yeux, pourtant, Hakim devait vraiment avoir besoin qu'il le rassure. En prendre conscience aujourd'hui est très effrayant. Et si... Et si Hakim avait interprété ses propos autrement que ce qu'il voulait vraiment dire...

Oh... Non... Qu'est-ce que j'ai fait ?

Yassen n'avait jamais songé à quel point il avait de l'importance aux yeux de son aîné. Le côté possessif d'Hakim pouvait parfois lui faire un peu peur, mais jamais il ne songeait à dissoudre leur amitié pour ça. Hakim ne pouvait pas passer une journée sans le voir ou l'appeler pour savoir ce qu'il faisait et où il était. Même si Jonathan avait raison et que Yassen avait fait la sourde oreille, pour lui, tout cela n'était que le fait d'une grande amitié et rien de plus. Mais la vérité l'a rattrapé trop brutalement.

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