Chapitre 9

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Une fusée traverse le salon, renversant la gouvernante de peu.

— Monsieur Jonathan ! réprimande-t-elle avant de soupirer d'amusement.

Jonathan monte les escaliers deux à deux en courant, il entre dans sa chambre et ferme à double tour. Il ôte son sac et le lance sur le lit, puis se jette à côté, rebondissant contre le matelas, un sourire franc sur les lèvres. Depuis qu'il sait que Yassen est toujours libre, il est hyper heureux, c'est si rassurant. Il soupire d'aise, croise ses bras derrière la tête et profite de son bonheur.

Yassen est célibataire.

Oui.

Un silence de bien-être repose dans l'atmosphère. Pas un grain de sable pour gâcher son bonheur.

Soudain, il se redresse effrayé.

— Pourquoi suis-je aussi heureux !? C'est sa vie, bon sang !

Il attrape sa peluche mouton et se met à rouler d'avant en arrière, des papillons virevoltant dans son estomac. Une bouffée de chaleur l'envahit, ses joues sont écarlates.

— Je suis trop bizaaaaaaaaaaaaare !

La figure de son ami lui apparaît, resplendissante de joie. Et ce regard !

— Il est si mignooooooooooon !

Il s'arrête net, juste pour souffler. Yassen devient de plus en plus craquant, c'est un crime ! Peut-être c'est pour cela qu'il le voit dans tous ses rêves. Vu qu'il aime les jolies choses, c'est normal qu'il n'arrête pas de penser à lui. Serrant sa peluche tout contre lui, il se demande si Yassen le trouve aussi mignon.

Hum...

Curieux, il se lève et se rapproche de sa penderie où son miroir l'attend. Il n'avait jamais prêté attention à son physique avant. D'habitude, il suffit que sa mère lui dise qu'il est le plus beau pour qu'il se sente parfait. Sans compter les lettres d'amour et toutes ces personnes qui lui disent qu'il est vraiment unique. Jamais il n'a douté des paroles de toutes ces personnes, mais là...

Avec attention, il observe ses petits yeux marrons, sa belle peau cacao au lait, ses cheveux bouclés mi-longs au reflet mielleux sous la lumière naturelle, ses petites lèvres pulpeuses qu'il recouvre de menthol pour les protéger de la sécheresse. Il détaille ses longs doigts aux ongles arrondies bien taillées et sa main agile pour faire des dessins et jouer de la guitare. Ce physique, il a appris à en être fier grâce à sa mère. Quand il avait cinq ans, un enfant s'était moqué de lui pour sa peau mate et la couleur de ses yeux, juste parce que sa mère dont il se vantait était une blanche aux prunelles verts. Les mots de ce garçon l'ont blessé.

— T'es même pas métis en plus ! T'es juste un adopté ! T'es pas un vrai enfant !

Il a pleuré toutes les larmes de son corps parce que les adultes autour ont ri au lieu de réagir. À seulement cinq ans il découvrait déjà la discrimination, ça l'avait marqué. Même s'il sait aujourd'hui que sa mère a collé un procès à cette famille, c'est resté ancré en lui. Tous les mots d'amour de ses proches n'ont jamais réussi à effacer ça.

Il sait qu'il n'est pas un "vrai" Bertholo, il n'est pas légitime. Comment passer au-dessus du fait qu'il est le seul noir au milieu de toute la famille. Qu'il y a toujours ce regard bizarre quand ses cousins le présentent à quelqu'un en disant qu'ils sont de la même parenté. Comment agir comme si la vision que les autres ont de lui n'est pas si essentiel que ça ? Il s'est même parfois demandé pourquoi sa mère l'avait choisi au milieu de tous les autres ? Elle aurait pu en prendre un ici en France qui cadre à son propre physique, mais non, elle a décidé que ce serait Lysef, de son nouveau nom Jonathan.

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant