Chapitre 54

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— Mariage arrangé ? hurle Carmen depuis l'écran.

Caché dans la salle de cinéma depuis son retour, Jona s'enfile un saut de pop-corn en faisant une visio avec sa meilleure amie. Il avait besoin d'intimité et quoi de mieux qu'une salle insonorisée. Carmen, la camerounaise, répond depuis Kribi, une ville balnéaire de son pays natal. Jona et elle sont toujours en contact, et il n'a pas hésité à l'informer du retour de son ex, mais elle était injoignable depuis un moment. Dès qu'il lui a envoyé un message de détresse, elle a fini par lui répondre au bout d'une heure.

Toujours enrobée et fan de tresses bantous, la jeune femme d'affaires, autoritaire et indépendante, est restée une amie fidèle malgré tous les distances et aléas de la vie. La distance et le silence n'ont rien changé à cette belle amitié qui permet à Jona de rester ancrer sur les réalités. Il ne peut pas se passer d'elle, jamais.

En pyjama, couchée sur sa peluche géante, Carmen se réajuste et porte ses lunettes pour s'exprimer. Son air de madame je-sais-tout prend le dessus.

— Alors ma théorie était bonne ! Je te l'ai toujours dit, Jojo, il y avait une femme derrière tout ça ! dit-elle en se tapant dans les mains comme à l'église. C'est pour cela que sa mère n'a rien dit, ils ont donné leur fils en mariage ! Yassen ne pouvait pas revenir pour toi parce qu'il avait maintenant une famille !

— Je ne comprends pas ! Je n'arrive pas à comprendre pourquoi ses parents ont fait ça, dit-il en se massant la tête. Tantine ne m'a jamais semblé être ce genre de personne. Je ne sais même pas qui croire. Et si Yassen racontait des mensonges ? Et si c'était encore un plan pour me faire croire qu'il est innocent ?

Carmen roule des yeux en vidant son verre de whisky. Elle se souvient de toutes ces années où Jona pleurait par écran interposé, ça la rendait complément folle ! Et là, tout d'un coup, elle a enfin une partie de la réponse. Elle l'avait toujours soupçonné.

— Jojo, ce n'est pas surprenant.

— Pardon ?

— C'est peut-être parce que je suis africaine que ça me semble normal, mais si tu en parles avec Félix, je suis sûre qu'il te dira lui aussi qu'il n'est pas surpris. Mon voisin Youssef, le petit-fils d'un vétéran du quartier, s'est marié à dix-neuf ans avec la fille d'un ami d'affaires de son père. Et Dieu seul sait que ce garçon n'est pas le meilleur biscuit du paquet.

— Pourquoi le marier aussitôt ? C'est inhumain !

— Parle pour toi, chéri. Il existe de tas de raisons pour cela. Ça peut être d'ordre religieux, coutumier, financier et bien d'autres. Youssef est drépanocytaire et ses parents veulent qu'il fonde une famille avant de quitter ce monde. C'est leur fils unique. Il faut qu'il perpétue le nom d'Aladji. Ce ne sont pas ses cinq filles qui le feront. En plus, son père s'est contenté d'une femme, il est donc obligatoirement l'héritier légitime. S'il arrive à avoir un garçon, il multiplie les chances de survie de la descendance.

Jona se tient la poitrine avec horreur.

— C'est juste un objet au final ! Ils ont pensé à ce qu'il veut réellement ?

— Ce gamin couche avec tout ce qui bouge, mon cher, crois-moi, il fait moins de mal maintenant qu'il est obligé d'être responsable. C'est triste à dire, mais ses parents sont désespérés. Plus il vagabonde dehors, plus ils auront des bâtards en guise de petit-fils et c'est très mal vu. Maintenant qu'il est marié, son père lui a offert une maison sécurisée où il surveille tout ce qui s'y passe. C'est une prison dorée.

— Je suis choqué. Et puis, ce n'est pas la même chose avec Yassen. Il vient d'une famille modeste et travailleuse. Son père est un fonctionnaire droit et juste, sa mère faisait deux boulots pour subvenir à leurs besoins. Ils ont toujours voulu qu'il aille loin dans ses études et sa vie professionnelle, alors pour quelles raisons feraient-ils une chose pareille ? Quelque chose cloche, je le sens.

Feutre vertOù les histoires vivent. Découvrez maintenant