J'aurais dû partir de San Antonio, la veille. Je devrais être en train de découvrir un nouveau lieu et chercher l'endroit le plus propice à ma sécurité pour dormir. Je devrais être en train de parcourir les rues pour trouver un petit boulot ponctuel. Au lieu de cela, je me rendais, enfin, après deux semaines, au bureau de Joey pour récupérer ma toute nouvelle identité. Je n'aimais pas lorsque mes plans étaient contrés. J'étais une femme rigide sur mon emploi du temps malgré la vie que je menais. J'étais, donc, contrariée.
Redgie avait tenu à m'accompagner. Il était tendu. Je n'étais pas quelqu'un de violent mais je pouvais l'être, par moments. Il craignait cette agressivité chez moi. Redgie était un mec bien. Toujours joyeux, il avait grandi dans une atmosphère excessivement paisible. Cela n'avait pas, toujours, été mon cas.
Notre passé nous forgeait.
Il y avait une colère en moi qu'il faisait bien de craindre. Je parvenais à la contrôler au quotidien mais je devais avouer avoir un petit problème avec la frustration.
Il marchait devant moi et ne cessait de me supplier de me calmer si je ne voulais pas tout faire capoter. Aussi, je tentais la respiration lente. Cela faisait trois jours, date butoir que Joey m'avait donné, que je ruminais. L'envie de me rendre à son foutu bureau secret, à plusieurs reprises, m'avait traversé l'esprit mais j'avais rongé mon frein.
Il avait gâché mes plans. La petite princesse capricieuse qu'avait faite de moi mon père afin d'avoir la paix, refaisait surface lorsque je n'obtenais pas ce que je voulais. Les années passantes, cet aspect de ma personnalité s'était quelque peu apaisé mais cela demeurait en moi en certaine circonstances.
Nous ne tardions pas à arriver. J'avais prévu de quitter la ville juste après ce rendez-vous. J'avais déjà mon billet de bus dans ma poche et mon sac, contenant le peu d'affaire que je possédais, sur le dos. À présent, je venais récupérer mes biens.
L'achat de cette nouvelle identité avait été bien plus cher que je l'avais pensé. Aussi, je n'avais donné qu'une partie de l'argent à Joey, à la commande. Durant ces deux semaines, j'avais amassé le reste de l'argent en travaillant pour trois entreprises. J'avais travaillé pour madame Clark, tous les jours, et j'avais trouvé deux autres emplois, pour pallier le solde qui me restait à régler. La première semaine, je n'avais pratiquement pas dormi. Je travaillais de jour, comme de nuit. Mes journées étaient rythmées par le restaurant et les ménages que j'avais pu trouver dans différentes entreprises. Mes nuits, quant à elles, étaient consacrés à faire la pouliche dans un club de strip-tease. Cela était le boulot le plus rentable de ma vie mais j'en avais détesté chaque seconde.
Malgré cela, grâce à ce boulot, j'avais la somme due. J'avais même en poche un petit pécule pour m'installer deux ou trois jours à l'hôtel, à mon arrivée en Louisiane. Cela me permettrait de rechercher un endroit sûr pour la suite, en sécurité.
Avec un peu de chance, mes jours dans la rue étaient comptés.
Nous arrivions devant la porte de la planque de Joey et Redgie recommença son petit manège. Je trouvais cela tellement kitsch. Ce type pourrait se payer la meilleure technologie qui existait afin d'espionner les alentours, mais il avait décidé que des mots de passe en séries, était plus sécuritaire.
Toujours le même gorille, qui pensait impressionner, se présenta à nous. Il nous laissa passer sans un mot, mais le regard dur.
Ce type avait le chic pour me faire lever les yeux au ciel. J'avais promis à Redgie de fermer ma gueule et le laisser parler. Il redoutait ce qui pouvait sortir de ma bouche. Il avait raison de se méfier de moi. J'étais une personne bienveillante, mais il fallait dire que j'avais mon petit caractère.
Joey semblait nous attendre. Debout à notre entrée dans son bureau, il souriait, comme s'il était très fier de lui. Il n'y avait pas de quoi être fier de contourner le système, à mon sens. Cela était illégal, et même si j'en profitais, en désespoir de cause, cela ne voulait pas dire que je cautionnais.
J'avais en horreur le crime, du moins, je me faisais subir un foutu lavage de cerveau depuis si longtemps que cela était entrer dans mes préceptes. Tout ce qui pouvait m'éloigner de mon père, et ma mère, était bon à prendre.
- Bonjour, mes amis.
- Tu as ce que je t'ai demandé ? Demandais-je entre mes dents, n'obéissant pas aux demandes de Redgie, de me taire et le laisser parler pour moi.
Je n'étais pas là pour faire la causette. Je voulais me barrer loin de cette raclure qui faisait sa fortune sur le dos des plus désespérer. Il se tourna pour récupérer une enveloppe.
- Tu as le reste de l'argent ?
Je mis la main dans ma poche et lui tendis la liasse de cinq mille dollars. Il s'empressa de l'attraper et en comptait chaque billet. Satisfait, il me tendit enveloppe. Je l'ouvris et en sortis son contenu. Un permis de conduire m'y attendait, ainsi qu'un diplôme universitaire, un diplôme de fin d'études secondaires, et ma toute nouvelle carte d'identité.
Lana Murphy.
Cela serait ma nouvelle identité. Celle qui me poursuivrait, enfin, jusqu'à la fin de ma vie. Grâce à ces papiers, ma vie allait pouvoir commencer. Mes nouvelles « compétences » allaient me permettre de travailler dans le social. Il fallait que je répare, quelque part, les fautes de mon père, en aidant les autres. Je voulais trouver un poste d'assistante sociale. Peut-être allais-je, définitivement, m'installer à la Nouvelle-Orléans, si j'y trouvais un emploi stable, et si je m'y plaisais.
Je me tournais pour quitter les lieux. Je n'avais plus rien à faire en compagnie de ce type qui me débecquetait.
- C'était un plaisir de faire affaire avec toi, se réjouissait-il, les yeux sur ses billets.
Je dus user de toute mon énergie pour ne pas me retourner et lui foutre mon poing dans la gueule. Un pas après l'autre, je me forçais à sortir de là. Je ne pouvais pas le dénoncer aux flics pour mon bon plaisir, au risque de les attirer à moi. Ce connard serait capable de balancer sur moi si je faisais cela. Aussi, je me contentais de partir, en compagnie de Redgie, sans me retourner.
J'avais, enfin, de quoi m'offrir une nouvelle vie, sans craindre d'être retrouvé. Je savais que mon visage pouvait, encore, circuler, mais n'y avait-il pas des gens qui nous ressemblaient, presque, comme des jumeaux, quelque part. Si cela était nécessaire, à l'avenir, je penserais à la chirurgie pour échapper à mon passé. Je ne voulais pas en arriver jusque-là mais si je n'avais pas le choix, je le ferais. J'espérais pouvoir mettre mon passé de côté, à jamais. J'allais racheter toutes les fautes que mon père commettait, que cela soit par le passé, dans le présent, et dans le futur. Ma conscience en serait-elle allégée ?
Quoi qu'il en était, mon bus partait, deux heures plus tard. Je n'avais qu'une hâte, maintenant que j'avais la possibilité de m'offrir une meilleure vie, commencer, enfin, à vivre, et plus survivre...
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Dance in the flames
Любовные романыLake était une jeune femme rebelle et tenace. Fuyant un passé insipide et froid, elle vivait au gré de ses envies et du chemin qui s'ouvrait devant elle. Solitaire, marginale, elle vagabondait de ville en ville de façon aléatoire jusqu'à voir ce qu'...