Chapitre 38 : Lake

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Je me figeais devant ce regard si noir et sérieux. Je n'étais sûre de rien mais il semblerait qu'il avait rendu une visite à Omarosa.

- Tu vas rentrer à présent. Il est tard et je sais que tu n'as pas beaucoup dormi ces derniers temps, me tira-t-il à sa suite en direction du manoir.

Je me laissais faire, incapable de répliquer alors que je prenais conscience que je n'étais plus la seule à connaître cet ignoble secret. Il me traînait par le bras tandis que je traînais des pieds. Oublier le sujet de la fugue. Cela n'avait plus aucune importance. Dès l'instant où il avait posé ses yeux dans les miens, quelque chose se produit.

Il y avait eu tant de considération dans ses yeux, comme s'il était peiné de mon vécu. Il n'avait pas été condescendant, ni menaçant. Ce changement, et les souvenirs de ce jour-là, se confondait pour foutre le bordel dans ma tête. J'avais l'impression d'avoir un énorme blanc tout en tombant dans un gouffre sans fin. Sûrement, une façon qu'avait mon cerveau de me protéger de mes traumatismes.

Il nous fit entrer dans le manoir et me lâcha. Il se tourna vers moi, après avoir récupéré un de ses manteaux, pour le mettre sur mes épaules. Je ne m'étais même pas rendu compte que je tremblais comme une feuille. Ses mâchoires se serrèrent alors qu'il m'observait tenter de reprendre contenance.

Ne pas montrer de faiblesses. Cela avait été un mantra que j'avais adopté depuis tant d'années. Pourtant, à cet instant, devant le respect et la prévenance de cet homme que je m'étais obligé à haïr, je n'avais aucune envie de me cacher. Il avait rencontré mon monstre et avait percé son secret abject. Il ne semblait pas fier de sa trouvaille. Il semblait même au bord de la rupture.

Il attrapa ma main, plus délicatement que précédemment, et me fit grimper les escaliers qui conduisaient à ma chambre.

Arrivée à celle-ci, il me mena à mon lit et m'obligea à m'asseoir dessus avant de commencer à faire les cent pas devant moi.

Après plusieurs nuits sans sommeil, et cette semi-révélation, je me sentais vider. Je n'avais qu'une envie... dormir. Je voulais dormir et ne plus me réveiller avant des jours. Cela me semblait être la meilleure solution. Je ne savais pas ce qu'il comptait faire de moi, à présent, mais je me foutais de cela.

Pendant des années, j'avais lutté pour moi-même. Je ne m'étais pas laissé écraser sous le poids de la fatigue, ni de la peine. Aujourd'hui, face à cet homme qui semblait se soucier de moi, je voulais seulement me laisser aller à me reposer... à me reposer vraiment.

Je me laissais tomber sur le matelas et fixais le plafond, ne combattant plus la fatigue. J'abandonnais. Il pouvait faire ce qu'il souhaitait. Je n'en avais cure. Tout ce que je voulais été le sommeil. Je fermais les yeux et je sentis le matelas s'affaisser sous son poids, lorsqu'il vient s'asseoir près de mon corps sans énergie vital. Je n'ouvrais pas les yeux. Étrangement, j'avais suffisamment confiance en lui pour ne pas s'en prendre à moi. Du moins, pas tout de suite.

- Il est mort, déclara-t-il.

Cela, par contre, m'obligea à lui prêter attention.

- Je l'ai tué après qu'il m'ait raconté ton histoire.

Son visage était sombre. Il était en colère. Ses yeux étaient empreints d'une rage meurtrière. Il ne semblait pas satisfait de son crime. Je haussais des épaules. Plus rien n'avait d'importance. Qu'il soit mort, ou pas, je serais, certainement, toujours prisonnière de lui, quelque part. Je ne serais jamais libre.

Léandro m'observa de ses yeux avides. Il avait envie de moi mais ce qu'il savait le freinait. Mon histoire n'avait rien de classique. Cela était un conte d'horreur qui ferait frissonner les petits et les grands. Cependant, je pouvais me vanter d'avoir été une héroïne avec une force de volonté à toutes épreuves, avant ce soir. J'avais mené ma barque, toute seule, avec la contrainte de devoir rester caché dans l'océan d'humains qui peuplait la terre.

Il se releva mais ne semblait pas prêt à partir.

J'aurais aimé le remercier de l'avoir éliminé, de m'avoir enlevé ce poids-là des épaules mais je n'ouvris pas la bouche. Je m'étais conditionné à n'émettre aucune faiblesse. J'étais si épuisée que j'avais peur de laisser transparaître ma tristesse et mon soulagement dans mes mots. Aussi, je me taisais en continuant de le fixer.

Léandro restait figé devant moi un long moment avant de partir, comme un buffle, en claquant la porte bruyamment.

Je me tournais sur le côté vers la porte qu'il venait d'emprunter et fermait les yeux pour me laisser aller à l'inconscience.

Je me réveillais en sursaut. Je regardais partout dans un éclair de panique et constatais que je me trouvais bien dans ma chambre, au manoir. Il faisait encore nuit noire et des gouttes de sueur perlaient sur mon front. Je tremblais de tout le corps. Un cauchemar. Cela n'était qu'un cauchemar.

Du mouvement m'alerta dans le coin de la pièce, près des fenêtres. La silhouette de Léandro se dégagea du fauteuil pour venir à ma rencontre. Que faisait-il ici ?

Il posa sa main sur mon front et ses sourcils se froncèrent.

- Tu as de la fièvre. Je l'ai remarqué quand je t'ai pris la main pour te ramener à ta chambre. Un médecin viendra te voir dans deux heures, m'informa-t-il.

Je tournais la tête pour enlever sa main de mon visage. Cela était trop nouveau pour moi. Je restais méfiante. Il y avait des gens qui avaient voulu me prendre sous leur aile, par le passé. Tous avaient eu leurs raisons pour cela. Jamais, de bonnes, malheureusement.

Léandro était censé être le pire de tous. Il vivait la même vie qu'Omarosa. Ils étaient, tous deux, de la même trempe. Depuis la veille, il s'était parfaitement conduit avec moi. Il veillait, clairement, sur moi. Cependant, j'étais une fille de la rue. La méfiance était devenue une constante chez moi.

Qui ferait confiance, aveuglément, à un criminel ?

Il n'était pas ravi de ma réaction mais n'en disait rien. Il se contenta de retourner sur son fauteuil et replonger dans l'obscurité de la chambre. Je me tournais vers lui, en proie au doute.

Il savait mais il ne s'en servait pas. Il savait et prenait soin de moi, quitte à sacrifier sa nuit. Il savait et cela provoquait, chez lui, de la compassion.

Il était bien le premier, dans mes souvenirs, de ce milieu-là, à avoir montré une infime bienveillance.

Néanmoins, j'avais bien appris mes leçons de ce monde. Rien n'était gratuit. Tout se payait.

Je ne devais rien à personne et cela ne devait pas changer. Léandro réagissait, certes, d'une façon inédite mais il devait forcément attendre quelque chose en retour et je me doutais quel était le prix à payer pour tant de considération de sa part.

Je l'avais vu dans ses yeux la veille de son départ.

Il voulait quelque chose de moi que je ne pourrais, et ne voulait pas, lui donner.Je posais ma tête sur mes mains et m'interdisais de fermer, à nouveau, les yeux. J'avais besoin que nous mettions les choses au clair.

Peut-être aurais-je une chance de le persuader de me libérer ? Peut-être m'écouterait-il, à présent... 

Dance in the flamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant