1 | Voyage familial

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EMILIO

J- 76

23h42

Macao, Chine

   

   

   

Macao est un sacré bordel.

Je n'arrive foutrement pas à me repérer au milieu des enseignes trop lumineuses et c'est impossible de distinguer les paroles de ce bouffon de Caleb à mes côtés tant la foule est compacte et le bruit assourdissant. À chaque coin de rue, des connards en costume bon marché tentent de m'agripper le bras pour me trainer vers leur casino miteux, m'empêchant de suivre la cadence effrénée que Cece impose à notre groupe depuis notre départ de l'hôtel. L'avion a atterri hier mais je rêve déjà qu'il me ramène le plus loin possible de la cacophonie de ce vieux bled.

J'aimerais rentrer chez nous et faire le deuil de ma famille en paix.

Pourtant, s'il y a bien une chose que toute cette histoire m'a appris c'est que nous ne sommes pas aux commandes de notre propre vie et que ceux qui osent dire le contraire sont juste de vieux fous trop optimistes. Les cons moralisateurs dans les bouquins poussiéreux à deux balles ont raison : le choix est le mensonge absolu.

Alors, je fais semblant que tout va bien quand Caleb m'interroge du regard à un énième croisement de rue et continue à suivre les jumelles dans les rues surchargées de ce Las Vegas chinois. Je pourrais aisément râler et demander à ce qu'on marche moins vite mais je sais que tout le monde est un peu à cran en ce moment alors je ferme ma grande gueule et j'avance en silence, comme le bon soldat que je suis devenu.

À dire vrai, je ne pensais pas que le groupe serait capable de se relever après ce que nous avons vécu là-bas, sur l'île où nous avons dû dire adieu à une partie de nous-même. Il y a quelques jours seulement on enterrait nos frères et nous voilà pourtant déjà loin d'eux et de tous les souvenirs qui se raccrochent désespérément à leur nom.

La fuite, au final, c'est un moyen comme un autre de faire son deuil.

Mais moi, j'ai mal. La page a été tournée trop vite et je n'arrive pas à oublier, à faire semblant d'oublier rien que le temps d'un instant. Mon cœur saigne et je sais qu'il ne se réparera pas dans le tumulte des casinos ou dans la folie d'un nouveau plan abracadabrant. Faire comme si rien n'était arrivé, faire comme si je n'entendais pas les pleurs de Cécilia et ne voyais pas les yeux gonflés de Julia au matin, c'est au-dessus de mes forces. Je refuse d'oublier comment elle nous a trahi.

Cal m'agrippe le bras et me tire dans la ruelle que j'ai failli rater.

— Doucement, abruti ! sifflé-je devant la force de son geste.

Il lève son majeur en réponse et rattrape les filles en quelques enjambées. Je reste en retrait une seconde de plus, juste le temps de les observer et de me dire que je suis peut-être le seul à être autant en colère. Je peux comprendre que la fugue soit leur solution mais elles doivent savoir que je ne les pardonnerais jamais si elles ont excusés les mensonges de Rosalia en quittant l'Italie.

— Emi, bouge ton cul ! hurle Cece en avisant mon retard sur leur trio.

Je ne dis rien et trottine jusqu'à arriver à leur hauteur. Ma main tente d'attirer celle de Julia entre mes doigts mais elle se dérobe comme à son habitude, sans m'offrir ne serait-ce qu'un coup d'œil.

Elle ne m'a regardé une seule fois dans les yeux depuis que nous les avons enterré. Pour une fois, je suis incapable de lire en elle et ça me détruit de devoir admettre que je l'ai sans doute perdu elle aussi. À croire qu'on est tous mort ce jour-là, même si ce ne sont pas nos corps qui réposent dans un cercueil à Palerme aujourd'hui. Et désormais, il ne reste plus que des faux-semblants entre nous, des regards qu'on en s'accorde plus, des sourires plus malhonnêtes les uns que les autres et un pauvre plan merdique censé sauver la réputation de ces putains de Rose de Rome.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant