06 | Mariage heureux, mariage pluvieux

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HAYDEN

J- 60

14h12

Palais Princier, Monaco, France

     

Je n'ai bu que deux coupes de champagne mais c'est comme si j'étais déjà ivre. Je fais de mon mieux pour me concentrer sur les paroles incessantes que le gratin monégasque ne peut s'empêcher de me servir à tout de champ mais je n'en récolte qu'un affreux mal de crâne.

La pièce est bondée, trop pour que ce soit agréable et il me faudrait batailler avec la foule pendant dix minutes au moins pour espérer apercevoir un bout de tableau alors j'abandonne et me réfugie le plus loin possible des murs surchargés par les regards envieux. Le palais princier de Monaco est splendide, c'est certain, mais j'aurais préféré le visiter un jour où tout serait désert.

L'inauguration de la nouvelle galerie royale a attiré les plus grands noms de la région et la mère de Nawell n'a cessé de me répéter que c'était un évènement parfait pour faire savoir à tous que notre mariage arrivait mais je ne comprends pas l'engouement qu'il y a à s'immiscer dans une marée humaine pour ne pouvoir contempler qu'une seule minuscule seconde les montagnes de trésors qu'abritent pourtant les murs.

J'ai appris à savourer l'art dans le calme, à prendre le temps de goûter à chaque coup de pinceau, à chaque ombre et à chaque lumière que le peintre a laissé à notre intention. Quand je regarde une œuvre, j'aime imaginer sa signification, aller au-delà de sa beauté pour comprendre sa raison d'être alors ce genre de soirée mondaine n'est sans doute pas faite pour moi. Les gens sont heureux de voir de belles choses et peut-être qu'au final c'est simplement ça le but de l'art et que je ne suis qu'un vieux grincheux aux yeux usés par la vue de déjà trop de merveilles.

Je déambule mon verre de champagne à la main, en évitant du mieux que je le peux les regards perçants ou les œillades insistantes des pères de familles et des femmes d'affaires qui attendent le moindre faux pas de ma part pour me tomber dessus. Plus de la moitié des gens dans cette pièce seront conviées à mon mariage dans cinq jours et j'ignore encore si je dois rire ou pleurer devant la manière qu'ils ont de me dévisager comme si mon allure sombre ne collait pas à mon nom.

Alors que je me perds en quête d'un serveur qui pourrait remplir mon verre de son breuvage doré, mon œil est attiré par le coin d'un tableau dont mon esprit semble reconnaître les contours. Je dévie de ma trajectoire, accélère le pas à mesure que mon cœur s'emballe dans ma poitrine sans que je puisse rien faire pour le retenir. Je connais ce sentiment d'adrénaline qui se déverse dans mes veine mais j'avais l'habitude de le ressentir quand je m'apprêtais à voler un tableau, pas simplement à le dévisager.

La dernière personne entre moi et ma destination s'apprête à s'écarter tandis que je franchis les derniers mètres qui me séparent d'elle mais c'est ce moment précis que je choisis le père de Nawell pour m'intercepter et me bloquer la route. J'ai à peine le temps de réaliser ce qu'il se passe que sa main est déjà sur mon épaule et son regard sonde le mien à la recherche d'une émotion que je ne ressens pas.

— Je suis désolé pour ton père, Hayden.

J'ai menti quand j'ai dit que ce n'était que mon deuxième verre. En réalité, j'en ai bu un à chaque fois qu'un inconnu m'a servi l'un de ces mièvreries à la con sur mon paternel ; et, au vue du nombre d'hypocrites dans la salle, j'ai bien dû boire des litres et des litres de champagne.

Père est mort. Comme ça, sans prévenir personne, il s'est éteint dans sa chambre d'hôpital hors de prix alors que les médecins lui donnaient encore quelques mois à vivre : la faute à une crise cardiaque fulgurante qui arrive quinze ans trop tard. Ses chirurgiens se sont répandus en excuses quand ils m'ont eu au téléphone, persuadé que j'allais leur faire un procès pour la perte aussi chère d'un père que je détestais.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant