ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2

26 | Une soirée sans fin

JULIA

J- 54

23h22

Quelque part à la frontière du désert, Égypte

       

J'attends que Melkinov soit parti pour sortir de ma chambre. J'ai guetté le moindre son de leur discussion, leurs déplacements dans la pièce à vivre, les rires froids de Rosalia et les remarques espiègles de son interlocuteur. Je suis certaine que le sang imprègne encore le sol au pied de la table. En fait, j'avais beau savoir que Melkinov ne serait pas mort, quand Rose a tiré cette balle dans la poitrine de son ami, j'ai bien cru qu'elle avait changé d'avis.

Je n'arrive pas à comprendre ce que je ressens. Les Mexicains vont tuer nos détracteurs sans faire de problèmes, nous sommes tous finalement réunis mais pourtant, quand Anton s'est relevé et nous a souri, j'ai senti que quelque chose clochait.

Je m'aventure dans le couloir désert avec la ferme intention de confronter la femme qui a pris toutes les décisions sans même nous demander ce que nous en pensions. Ma sœur l'a tué et elle le savait. Elle a couvert les crimes de ma jumelle parce qu'elle pense que je ne suis pas de taille à me battre moi-même mais elle se trompe. Elle pense que parce que j'ai attendu si longtemps pour me venger, je ne suis pas capable d'appuyer sur la détente pour descendre mes ennemis de sang-froid.

Au fond, elle a sans doute raison. Je ne vais pas me rendre aux Etats-Unis pour les tuer de mes mains et je ne suis pas énervée du fait qu'elle ait confié cette mission à Ruiz. Rosalia ne connaît que la violence et veut m'attirer sur la route tortueuse de la vengeance avec elle. Elle oublie que je sais ce que lui a apporté une telle vie, ce désir si ardent qu'elle a de mettre fin à son existence donc elle ne peut pas se braquer si je décide d'emprunter un autre chemin.

Je lui en veux pour les mensonges. Je lui en veux pour sa pitié. Je lui en veux de ne pas comprendre qu'il existe une autre issue à tout ça. Nous sommes nés quelque part entre la lumière et l'obscurité et c'est notre devoir de se battre pour regagner la surface au lieu de plonger dans les ténèbres. C'est pour ça que je lui en veux d'avoir baisser les bras alors que je lui tendais les miens depuis le bord du précipice.

Je retiens ma respiration au moment où je passe devant la porte de la chambre d'Emi, juste à côté de la mienne. Le couloir semble sans fin et je ne veux pas que ce grand nigaud se donne pour mission de m'accompagner. Tout ça ne le concerne pas vraiment. J'aime la tranquillité d'esprit qu'il m'apporte, la manière qu'il a de m'agacer et de me faire me sentir importante et je le connais assez pour savoir qu'il voudrait s'interposer et me conseiller de dormir plutôt que de me battre contre des démons qui ont plus de chance de gagner que moi.

Nous nous sommes faits une promesse, lui et moi. Nous n'avons jamais reparlé de cette soirée dans sa chambre à Paris pourtant, dans chaque regard, qu'il m'adresse, je sens bien que quelque chose a changé entre nous. Nous nous sommes détestés si fort qu'on a oublié de voir qu'on se ressemblait tant. Et puis, depuis que nous nous sommes embrassé, je ne sais pas comment agir. J'hésite sans cesse entre l'idée de continuer à faire comme si ce baiser n'avait pas existé, comme si ce baiser ne m'avait pas plu, et celle de recommencer jusqu'à en perdre mon souffle.

Alors, maintenant, dès que son sourire s'agrandit quand il me voit à l'autre bout de la pièce, je commence à croire à la possibilité de tomber amoureuse de lui. Peut-être que je me briserais au sol dans ma chute, peut-être que ça ne donnera rien parce que je ne sais plus bien à quoi doit ressembler l'amour mais quand il m'observe comme si j'étais la femme le plus forte du monde, rien ne me semble impossible.

Rosalia est de dos quand j'arrive dans le salon. Occupée à rassembler les verres de vin au centre de la table, elle ne m'entend pas arriver. Ses cheveux bouclés sont ramenés en chignon sur le sommet de sa tête donc la première chose que je remarque, est la cicatrice rouge qui orne sa nuque. J'ai à peine le temps de faire un pas de plus, qu'elle fait volte-face et me dévisage avec surprise.