ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2

37 | À cœur ouvert

HAYDEN

J- 47

15h39

Pyramides de Gizeh, Égypte

     

Les pyramides sont visibles depuis plus d'un quart d'heure mais je ne prends conscience de leur taille qu'une fois arrivé à leurs pieds. Je me redresse sous le hennissement de mon dromadaire pour tenter d'apprécier la beauté du lieu qui m'entoure. Le soleil m'éblouit le visage alors que notre convoi contourne la première pyramide envahie de touristes.

Alex est à l'autre bout de la file mais je vois à son sourire béat qu'il est aussi émerveillé que moi. Je resserre le turban autour de mon visage pour me protéger des rafales de sable qui frappent nos montures et nous ralentissent dans notre avancée vers Khéops. Je lève la tête pour tenter d'apercevoir le haut de la construction mais chaque bloc de pierre est si large que je dois me tordre le cou pour discerner la pointe au sommet de l'édifice.

Le travail que de telles construction a dû demander est inimaginable. Je me sens soudain petit, dérisoire par rapport à ce monument de l'Histoire qui regorge de trésors inexploités. Ce serait compliqué de voler quoi que ce soit ici mais je me surprends quand même à me demander comment je pourrais faire pour y parvenir, comment je pourrais déjouer les pièges pour découvrir les secrets que referment ces murs.

Je caresse l'encolure de ma monture et lui laisse le temps de boire à l'outre de notre guide avant de rejoindre le groupe, à l'arrêt quelques mètres plus loin. Mal installé, je profite de notre pause pour descendre de mon dromadaire. Je fais quelques pas dans le sable brûlant pour me détendre les jambes et baisse les yeux sur mes pieds quand le soleil m'agresse à travers l'étoffe de mon voile.

L'idée d'Alex de profiter de ce court répit pour découvrir le pays était judicieuse. Je n'ai jamais vraiment voyagé, en dehors de vol d'affaire qui m'ont obligés à rester cloîtré dans une chambre d'hôtel pour signer des contrats ou dans une voiture de luxe pour servir de taxi à un groupe de voleurs. Aujourd'hui, c'est différent. Nous sommes venus pour jouer aux touristes, pour découvrir l'une des sept merveilles du monde et c'est tout. C'est agréable de se faire passer pour des gens normaux avant de reprendre nos vieilles habitudes.

C'est également amusant d'être mort. J'ai dû contenir mon rire en voyant Alex s'inventer toute une identité et commencer à raconter une vie imaginaire à notre pauvre guide qui n'avait rien demandé. Quand est venu mon tour, j'ai suivi son exemple, me suis inventé un nouveau nom et à voir ma tête des touristes autour de nous, je me suis dit que c'est bon de redevenir parfois un adolescent à l'humour plus que discutable.

Alexander me rejoint en traînant des pieds, essoufflé comme après un long voyage. Du coin de l'œil, je l'observe arriver à ma hauteur et lever la tête pour ne rien rater du spectacle qui s'offre à nous. Dans le ciel, des oiseaux s'amusent à faire l'aller-retour entre la pyramide et le vide. Plus bas, le brouhaha des touristes résonnent comme le chant de mille volatiles.

— C'est magnifique, commente mon voisin, la bouche entrouverte et la main en visière pour se protéger du soleil.

Je hoche la tête. Je ne sais pas quoi lui répondre. J'ai passé trop d'années enfermé dans ma tour d'ivoire, à lire et relire le liste des collections de tableaux des plus grands musées que j'ai oublié que l'art c'est aussi ça, ces blocs de pierre qui racontent l'Histoire du monde. Je réalise que je ne suis rien, que nos problèmes ne sont rien car nous ne sommes que des grains poussières dans l'engrenage de notre Terre, que les dieux doivent se moquer de nos guerres de territoire qui ne mènent à rien d'autre que la destruction.

Pourtant, ils nous ont donné la colère et la haine pour nous pousser à nous entretuer. Pourtant, ils nous ont donné l'amour et la peur pour nous apprendre combien une vie est précieuse quand elle est chérie. Pourtant, ils nous ont donné la douleur et la peine pour s'assurer que nous serons toujours prêt à écouter leurs sermons sur la vengeance.