2 | Le joueur de poker

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CALEB

J- 75

01h58

Macao, Chine

Parfois, je me dis qu'il aurait mieux valu ne jamais les rencontrer.

Puis je me souviens de tout et je m'en veux de penser ça et de ne pas arriver à penser à autre chose. Je sais qu'Emilio est en colère, tout comme Cece qui refuse d'aligner plus de trois phrases à sa sœur depuis Palerme mais je n'arrive pas à définir ce que je ressens, moi. Je me sens juste vide, comme si plus rien ne voulait se battre en moi, comme si mon corps avait décidé d'arrêter de se battre.

C'est donc ça que l'on ressent quand quelqu'un comme elle nous déçoit.

Je suis fatigué de devoir jouer un rôle ou de me battre pour rester debout et faire bonne figure alors que je ne rêve que de me rouler au fond d'un lit et de fermer les yeux en espérant que le nuage finira par passer. Je me moque de ce plan, de ces joueurs de poker qui s'égosillent autour de moi, de ce verre que je tiens pour me donner une raison de rester au bar un peu plus longtemps.

Plus rien n'a de saveur s'ils ne sont pas là pour voir ce qu'on est prêt à accomplir au nom d'une vengeance qui n'est pas la nôtre.

Je me sens trahi et l'alcool n'arrive pas à noyer ma nostalgie. Mon brandy n'a aucun goût et je ne parviens pas à me sentir à ma place dans ce vieux casino chinois. C'est étrange de se sentir si mal à l'aise dans son propre corps, si étranger à ces sentiments qui s'égarent en moi sans me demander mon avis. J'ai l'impression de n'être plus qu'un automate qui obéit sans poser de question et je crois que je déteste ça.

Je porte mon verre à mes lèvres une énième fois et en profite pour scruter la pénombre dans laquelle une dizaine de tables en velours vert sont plongées. La chevelure courte de Julia est facilement discernable parmi les quelques joueurs qui misent encore malgré l'heure tardive. Assisse autour de la table la plus peuplée de la pièce, elle semble s'amuser à dilapider les quelques jetons qu'elle a encore en sa possession.

Tout se déroule absolument comme prévu mais je n'arrive pas à trouver le moindre réconfort dans l'aboutissement de cette première étape. Mon bras picote encore, séquelle du tatouage qui l'orne désormais et le bout de mes doigts me brûle toujours mais je fais de mon mieux pour ne pas y penser. Après toutes ces années à courir après l'amour d'une famille, j'appartiens finalement à quelque chose qui me dépasse mais le bonheur n'est pas tel que je l'espérais.

Je ne savais pas il y a quelques jours encore qu'il fallait enterrer sa famille pour avoir le droit d'en faire partie.

J'avise l'heure sur ma montre et comprends qu'il est temps pour moi d'entrer en scène. Après notre petit numéro à l'arrière de ce repaire de la mafia locale, nous avons jugé préférable d'attendre un peu avant de nous faire remarquer à l'une de leur table de jeu mais l'heure fatale a enfin sonné. Il est temps pour le pion Caleb de remplir sa part du marché et de montrer à tout le monde qu'il a mérité sa place dans une instance aussi prestigieuse que les Roses de Rome.

Je recoiffe mes cheveux en bataille sur le chemin qui me mène à la table près de laquelle Julia tente tant bien que mal d'attirer l'attention de notre cible. Je m'assois sans attendre et place mes jetons sur la table le plus vite possible, peu désireux d'attirer trop l'attention des joueurs autour de moi qui rapatrient leur gains près d'eux ou, au contraire, souffle bruyamment pour extérioriser leurs défaites consécutives.

Nous sommes sept autour de la table quand le croupier annonce le début de la nouvelle partie et je suis surpris de constater que Julia est parfaite dans l'indifférence qu'elle met à ne pas me reconnaître. Tandis que l'employé distribue les cartes et attribue les blindes, je me permets de la dévisager et d'essayer de comprendre où elle a trouvé la force de donner tant de vie à ses yeux. Elle est occupée à scruter le moindre geste de l'homme à sa droite et soudain, je lui en veux de se montrer si forte devant moi.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant