13 | Les fossoyeurs

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CALEB

J- 65

20h02

Quelque part au-dessus du Kazakhstan

      

Je suis incapable de me concentrer sur les mots qui s'affichent sur mon écran. Nous sommes partis depuis près de huit heures et pas une seule seconde ne s'est écoulée sans que j'ai une sensation accrue de la présence de Thomas à côté de moi. Mes yeux se posent sur les mains qu'ils agitent sur son genou, sur l'éclat de la bague doré qui brille à son majeur et mes oreilles n'entendent plus que ses respirations, ses souffles et chaque putain de mots qui s'échappent de ses lèvres.

Je dois avoir été maudit. Je ne comprends pas pourquoi l'univers s'acharne sur moi, pourquoi il a un jour décidé que je devrais toujours me comporter comme un collégien maladroit dès que quelqu'un suscite un peu plus que de la curiosité en moi. Je peux au moins me sentir reconnaissant que Julia ou Emi ne soit pas là pour voir à quel point mes joues sont rouges alors que je fais de mon mieux pour me connecter sur le serveur du gouvernement français.

Je ne comprends pas ce qui cloche chez moi. Je suis capable d'affronter l'un des chefs de la pègre chinoise mais je me retrouve démuni dès qu'il s'agit de partager deux sièges avec cet inconnu au regard trop acéré pour que je le considère comme inoffensif. Chaque fois que mon regard se pose sur lui, c'est comme si une sirène d'alarme se déclenchait dans mon crâne. J'ignore pourquoi mais je sais que cet homme finira par causer la perte de quelque chose et qu'il y a des promesses dans son sourire emprunté qui ne me laisse présager rien de bon.

Je n'ai rien dit aux autres qui semblaient trouver ça normal qu'ils se joignent à nous sans vraiment rechigner mais toute cette histoire n'a aucun sens. Il sait parfaitement que nous avons traversé la moitié du globe pour lui car il est meilleur alors je ne comprends pas pourquoi il n'a pas posé plus de conditions à sa venue avec nous. Certes, nous l'avons menacé, nous avons fait de lui notre prisonnier, mais si cela avait suffi à l'intimider, il ne serait pas le hacker le plus talentueux de sa génération.

Je fais glisser mes yeux sur mon écran dans une veine tentative d'écarter les doutes qui se battent avec le désir de tourner la tête encore une fois la tête vers lui pour observer son profil. Je crois que cet homme exerce une certaine fascination sur moi, comme l'avait fait à l'époque une brune dont je tairais le nom et, de la même manière, je suis incapable de déchiffrer les secrets qui se cachent derrière son sourire obéissant.

ABBA résonne dans mes oreilles alors que le pare-feu du site cède peu à peu. J'ai déjà eu à faire à des sites plus coriaces mais les évènements récents ont rouillés les talents que j'avais développé, prisonnier dans les fin fonds d'une villa qui porte désormais le nom d'un défunt. Je mets un temps infini à m'infiltrer dans la première faille que j'ai repéré il y a quelques jours et je sais que mes sourcils se froncent de plus en plus à mesure que je trime à passer la seconde couche des défenses numériques de l'Etat français.

J'ai contourné l'IDS et l'IPS sans trop de difficultés en passant par des dizaines de VPN cryptés différents mais je n'arrive pas à faire passer mon trafic sur leur serveur de manière discrète car leurs règles de filtrage sont plus coriaces que prévu. J'ai dit à Cece que je n'avais pas besoin de Thomas sur ce coup mais j'ai été un peu naïf de croire que puisque ce n'était pas la DGSE ou l'armée, ce serait plus simple de se glisser entre les remparts érigés contre moi.

Alors que je me dis qu'à force de persévérer je vais bien finir par y arriver, une main glacée subtilise mon écouteur droit et me sort violemment de mes pensées. Je tourne mon menton vers Thomas et l'observe fourrer l'écouteur dans son oreille au son assourdissant de Dancing Queen. Sans manifester la moindre surprise pour mes goûts musicaux, ses yeux passent sur l'écran de mon ordinateur et ses pupilles s'agrandissent soudain.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant