54 | C'est une robe verte

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HAYDEN

J- 10

18h12

Villa Mercurio, Rome, Italie

       

Chaque excuse a été bonne pour éviter de lui rendre visite depuis son réveil.

Plus personne ne me croit quand je dis que je me sens mal, que j'ai besoin de prendre l'air ou que j'ai un rendez-vous à honorer en ville mais je m'en moque. Ils ne savent pas que j'ai passé chaque nuit à son chevet, m'enfuyant dès qu'elle donnait le moindre signe de vie. Ils ignorent que j'ai cru mourir tandis que des chirurgiens aux noms fantasques s'amusaient à la torturer pour retirer ma balle de sa clavicule.

Je ne sais pas si je suis prêt à la revoir, à poser mes yeux sur les siens et à soutenir son regard gris, ce regard qui m'a avoué ce qu'elle n'a jamais osé dire au moment le plus terrible. J'ai peur qu'elle retire ses mots, que maintenant qu'elle est tirée d'affaire, elle reprenne son « je t'aime » et s'enferme dans le silence avec. J'ai peur de ma propre réaction quand j'aviserai son sourire. J'ai peur de perdre un jeu, d'être encore manipulé par son regard charbonneux et j'ai peur d'aimer ça au point d'oublier qu'elle a failli mourir à cause de moi.

J'ai beau savoir que ce n'est pas de ma faute, que je n'ai été qu'un détail dans le plan macabre d'Anton Melkinov, je me sens coupable. J'étais près d'elle la nuit avant qu'il ne vienne et je n'ai rien vu venir, rien imaginé de ce qui tramait dans mon dos. Elle a pris une balle pour me sauver mais je suis incapable de la détourner de la violence, rien que le temps d'un instant et c'est aussi pour ça que j'ai pas eu le courage d'entrer dans sa chambre et de l'affronter, elle et toutes les horreurs qu'elle a commis pour me protéger d'un monde qui m'a pourtant déjà attiré dans ses griffes.

Pourtant, désormais, je n'ai pas le choix. Elle est rentrée à la villa hier et je ne peux plus l'éviter. Je l'ai aperçu hier depuis la fenêtre de ma chambre, vacillante sur les pavés de la cour, affalée dans les bras d'Alex pour réussir à marcher sans hurler de douleur. Sa blessure guérit vite mais elle aura toujours une cicatrice, au-dessus de la poitrine, pour lui rappeler ce que lui coûte d'être tombée amoureuse d'un homme tel que moi.

Je sais qu'elle est derrière la porte de son bureau mais je ne peux me résoudre à frapper. Mon cerveau est en ébullition, incapable de se mettre en pause assez longtemps pour me laisser souffler. La culpabilité est un poison puissant. Je suis dévoré de l'intérieur par des bêtes qui n'ont pas de visages, par des démons insidieux qui prennent plaisir à me dire que je suis le seul responsable de la situation, qu'elle ne peut pas décemment continuer de m'aimer après le mal que je viens de lui faire endurer.

Je suis venu dans la nuit, ait veillé son visage dans le noir le plus profond car c'est la seule solution que j'ai trouvé pour la regarder sans qu'elle puisse me voir. Je ne peux pas dévisager ses pupilles grises et y lire une déception, une colère méritée ou, pire que tout, des regrets pour les mots qui lui ont échappés.

Les choses sont plus simples si je me borne au seul souvenir de son « je t'aime » chuchoté depuis les limbes de la mort.

Mon poing s'abat sur la battant en bois alors que ma peur me hurle de faire demi-tour, me crie que je ne suis pas de taille à supporter une nouvelle déception. J'ai voulu qu'elle me perde pour qu'elle comprenne tout, pour qu'elle saissise le sens de ma distance mais je regrette d'avoir formulé un tel vœux. Les dieux sont perfides : ils nous exaucent mais s'en tiennent aux mots stricts, peu importe à quel point ils sont féroces. Elle devait me perdre alors elle a pris une balle pour me garder près d'elle encore un instant.

J'entends ses pas sur le parquet grinçant venir vers moi. Je prends une grande inspiration, me prépare à l'impact, à sentir mon cœur dégringoler dans ma poitrine, brisé en mille morceaux. J'ai voulu croire que ma vie ne se résumait pas qu'à elle mais je me suis trompé.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant