16 | La promesse

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JULIA

J- 62

02h21

Hôtel du Collège de France, Paris, France

      

Je suis parfaitement au courant que ça n'a rien d'une bonne idée mais mes jambes ne veulent rien entendre et continue leur marche vers l'autre bout de l'hôtel. Je suis partie sans vraiment réfléchir mais rester seule dans ma chambre à ruminer la conversation avec ma sœur ne me paraît pas un choix nécessairement plus censé que celui que je m'apprête à faire.

Je lui en veux tellement que ça me bouffe de l'intérieur. J'ignorais qu'elle connaissait toute l'histoire depuis le début et que je me suis tuée à tout garder enfoui au fond de moi pour rien. Je lui en veux de l'avoir tué alors que c'était ma vengeance. Je lui en veux d'avoir cru que j'avais besoin d'elle pour me réparer, comme si je n'étais pas assez forte pour le faire moi-même. Et pire que tout, je lui en veux d'avoir toujours su et de continuer pourtant à se considérer comme la victime de l'histoire.

Je vais devenir folle si je repense encore une fois à notre échange et à la manière dont elle semblait presque se plaindre que j'en fasse autant. Je ne veux pas de ses excuses, je ne sais même pas ce que je veux maintenant que je découvre qu'elle savait tout mais je sais que ce que j'espérais n'avait rien à voir avec la manière dont elle a réagi. Je ne veux pas de sa pitié ni de sa douleur parce que je trouve ça égoïste qu'elle me dise qu'elle a souffert alors que j'ai vécu l'enfer à quelques mètres seulement de son lit.

Elle savait tout alors que je voulais qu'elle ne sache rien et c'est encore la preuve que personne ne respecte vraiment ce que je veux. Elle a cru pouvoir lire en moi, comprendre ma peine et a même penser que j'étais prête à la laisser me prendre dans ses bras mais je me rappelle du dégoût que j'ai ressenti quand elle m'a dit qu'elle l'avait tué de ses propres mains. Pas du dégoût pour elle, non, mais du dégoût pour moi-même.

Dans mon malheur, j'ai eu la « chance » que certains n'ont pas de ne pas avoir culpabiliser de ce qui m'était arrivé. Je savais et je sais que ce n'était pas de ma faute et que ça ne le sera jamais mais ça n'enlève rien aux souvenirs qui, eux, ne s'effaceront sans doute jamais. Je me suis toujours raccroché à l'idée que tant qu'il était en vie, c'était lui le monstre. Aujourd'hui, il est mort et je me sens simplement sale. 

Peut-être que me venger de lui n'aurait rien arrangé, que je me serais encore réveillée quelque nuit en sursaut pour vérifier que je suis bien seule dans mon lit, que j'aurais haï chaque regard indiscret sur mon corps mais au moins, j'aurais eu le choix. C'était mon choix à moi de le tuer ou de me montrer plus forte que ça et de le laisser pourrir dans une prison insalubre à l'autre bout de la planète.

C'était mon choix et la personne que j'aimais le plus me l'a volé.

Je ne sais même pas si je suis devant la bonne porte mais foutue pour foutue, je tape de toutes mes forces contre le battant et tambourine assez fort pour réveiller l'occupant de la chambre. Le couloir est désert, la lumière presque éteinte et soudain, je me sens trop exposé, seule dans une allée déserte, vêtue de mon pyjama Harry Potter trop courts sur les jambes. Nous sommes dans un hôtel fréquenté de la capitale et j'ai l'air d'une folle en pleine redescente – ce qui n'est pas si loin de la vérité quand on y réfléchit bien.

J'entends enfin du bruit de l'autre côté de la porte et sans même en avoir conscience, je m'en rend compte que ma respiration se détend enfin et que je suis en train de recoiffer mes mèches hirsutes pour avoir l'air plus présentable. J'arrête aussi vite que j'ai commencé et plaque mes mains dans mon dos pour m'empêcher de continuer mes conneries. Alors que la poignée tourne sur elle-même, j'hésite une dernière fois à détaler pour retourner me mettre en boule sous ma couette et regarder des films niais à la télévision dans une langue que je ne comprends pas.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant