JULIA
J- 68
20h02
Quelque part dans les rues de Macao, Chine
C'est le troisième jour où je fais tout mon possible pour éviter Emi. Tous les stratagèmes sont bons pour ne pas croiser cet abruti et ses discours à la noix car je me souviens de tout dans les moindres détails et je suis mortifiée de honte à chaque fois qu'une bride de notre conversation me revient en tête. Je déteste avoir un ennemi auquel je ne fais que penser jour et nuit, dont je ressasse chaque putains de mots dans ma tête comme s'il était un plus qu'un simple abruti au sourire envoutant.
Alors, quand Caleb a demandé qui voulait bien l'accompagner pour « faire les courses », j'ai sauté sur l'occasion. Si ça me permet de tenir mes pensées et sa personne à distance de la mienne, je dis cent fois oui à aller me peler le cul dans les rues de Macao avec un compagnon aussi silencieux que Cal aujourd'hui.
Ce n'est pas faute d'avoir essayé de le dérider avec quelques blagues ou moqueries bien senties mais si moi je commence enfin à prendre goût à cette existence sans queue ni tête et à retrouver le plaisir de vivre sans se soucier des conséquences – or les conséquences liées à Emi bien sûr - Caleb, lui, semble plongé dans sa morosité continuelle sans manifester la moindre envie d'en sortir. Il semble absent et je ne sais pas quoi faire pour le ramener dans notre réalité, si tant est qu'il le souhaite lui-même. Il y a bien des moments où j'entrevois encore le vrai Caleb sous l'armure d'indifférence qu'il est dernièrement mais ces instants se font trop rares pour un garçon aussi survolté que lui d'ordinaire.
Pourtant, je me vois mal le laisser tomber alors qu'il est sans doute le seul dont le soutien a toujours été constant. Soudain, les mots d'Emilio me reviennent en tête et je dois étouffer mon sourire contre mes lèvres pour m'empêcher de ressentir de la joie au souvenir de ses paroles. Tu pourras toujours compter sur nous. J'espère juste qu'ils savent qu'ils pourront toujours compter sur moi aussi.
Je dépasse Caleb avec un regard moqueur et enfonce le bonnet d'Emilio sur ma tête en narguant mon ami qui peine à garder le rythme de notre marche rapide. Les rues que nous traversons sont pentues et plongées dans une pénombre malfaisante qui fait comme planer le danger au-dessus de nos têtes. Nous attirons le regard de tous les curieux de la rue, de tous les habitants des bicoques qui s'alignent en pyramides biscornues dans ce quartier mal fréquenté de la ville mais je fais le choix de ne pas tenir compte du climat peu accueillant que nous parcourons tous les deux. Je me retourne une nouvelle fois vers Caleb avec la furieuse envie de lui décocher un peu plus qu'une moue maussade.
Je désespère de voir Caleb noyer sa peine dans l'alcool pour arriver à sourire encore. On pensait la connaître si bien qu'on lui a confié notre vie sans garantie aucune. Et, quand elle est partie, elle a tout repris dans son sillage, sans nous laisser rien d'autre que l'impression d'avoir tout perdu.
Je sais que le monde n'est pas rose mais j'aimerais lui montrer qu'ensemble on peut essayer de le rendre un peu plus vivable. On a vécu tellement de choses horribles au cours de notre vie que c'est notre droit de reprendre ce qui nous a été volé. On peut vivre ; il suffit de décider de se relever. Quand la nuit tombera, je sais que je penserais encore à toute l'atrocité que mon corps a subi, à chaque traumatisme qui a été infligé à mon âme mais j'ai pris la décision d'arrêter de donner la victoire aux monstres. Et si ma résolution d'envoyer se faire foutre toutes les répercussions m'obligent à dévoiler mes sentiments contradictoires envers ce bouffon d'Emilio et bien soit.
— Bouge-toi, Caleb ! On a pas toute la nuit.
Il grommelle dans sa barbe mais accélère le pas quand même et finit par me rejoindre en haut de la rue interminable que nous venons de remonter. À peine arrivé, je ne lui laisse pas le temps de se dégager et glisse mon bras autour du sien sans lui autoriser la moindre protestation. Il tourne la tête vers moi et je hausse les sourcils comme pour le mettre au défi de s'extraire de ma prise. Il finit par abandonner le combat et reprend sa marche, l'air de rien, mais je sens bien que sa prise s'est resserré autour de mon avant-bras. On ne se laissera pas tomber et il y aura toujours quelqu'un pour nous aider à nous relever si la chute a été trop raide, je le comprends en regardant le profil de Caleb, les joues rougies par le froid et le regard dans le vide. C'est agréable d'avoir de telles certitudes.
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ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2
Aksi↪ ceci est le second tome de la duologie : il est nécessaire d'avoir lu NÉMÉSIS pour comprendre ANAIDÉIA ❀ Rome, Italie Ils étaient derrière vous mais vous ne les avez pas vus. Ils vous ont tout dit et pourtant, vous n'aviez pas compris. Vous n'ave...