41 | Deuxième tour

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EMILIO

J- 35

20h59

Musée du Louvres, Paris, France

       

C'est aussi beau que la première fois que nous sommes venus, peut-être même plus. Dans la pénombre de la nuit naissante, la pyramide de verre du Louvres luit comme un diamant. Un long tapis rouge s'avance devant nous et recouvre tous les pavés de la cour jusqu'à l'escalier en colimaçon que nous avons emprunté la fois dernière.

Il n'y a plus la foule de touriste habituelle, amassée devant l'entrée du musée. Ce soir les familles nombreuses et les amateurs d'art ont été remplacés par des femmes en robe de soirée, au volant de voiture de luxe et par des hommes tout aussi élégants pendus à leurs bras. Le gala de bienfaisance des assurances Grimaldi a attiré des noms du monde entier, de la riche femme d'affaire au collectionneur le plus excentrique.

Pourtant, je me sens à ma place parmi tous ces gens. Dans mon trois pièce aussi noir que mes cheveux, je ne suis plus le jeune homme craintif qui voulait suivre ses amis pour se noyer dans sa colère. Ce soir, je prends ma revanche sur ma vie, je joue la dernière partie avant de pouvoir enfin prétendre devenir l'homme que j'ai toujours aspiré à être, l'homme que Donato Grimaldi, ce bastardo, m'a empêché de construire.

Je serre mon carton d'invitation dans ma main pour calmer mon excitation. Dans quelques heures, je serais mort. Dans quelques heures, je serais libre. La Cosa Nostra a tué notre famille, nous a retiré nos noms pour faire de nous ses pantins désarticulés si bien qu'aujourd'hui peu sont les hommes qui se souviennent encore des deux gamins qui ont fui la Sicile.

Nous avons passé notre enfance enfermé dans sa villa en haut de la colline, cachés des yeux du monde dans la Chambre noire et envoyés à l'autre bout du globe pour servir ses intérêts. À ses amis, Donato ne nous a jamais présenté comme des hommes mais plutôt comme deux larbins dont il avait dû tuer les pères pour les contraindre à la docilité.

Il a fait une erreur en voulant nous retirer ce qui faisait de nous des êtres humains. Aucun des gens que nous avons servis ne sait que je m'appelle Emilio et que l'homme qui sort de la voiture à ma droite se nomme Caleb. En fait, c'est un peu la même histoire que celle de Julia et Cece. Grimaldi a voulu faire de nous des armes, Cal encore plus que moi, mais le secret de notre identité, il l'a emporté dans sa tombe et, quand Arturo Armanente et les derniers représentants de la Cosa Nostra le suivront ce soir, il n'y aura plus personne pour se rappeler du nom des deux traîtres à la patrie.

La Cosa Nostra sera perdue et avec elle, le souvenir de notre autre vie.

— Ils sont devant ou derrière ? demande Julia en sortant à son tour du véhicule qui vient de nous déposer.

— Devant. Je les ai vu passer il y a une minute.

Elle est resplendissante dans sa robe bleu marine et avec ses cheveux coupés au carré. Elle m'offre un petit sourire en remettant en place les plis de sa tenue et refuse le bras que lui propose Caleb. Elle porte sa main en visière et tente d'apercevoir l'autre groupe dans la file qui foule le tapis rouge du musée. Je suis tenté de m'approcher d'elle pour saisir ma chance de toucher son bras mais elle est trop belle pour que mes yeux consentent à la dédaigner.

Ce soir, une fois que j'aurais accompli mon devoir de fils et d'ami, je serais capable de l'aimer comme elle le mérite. C'est aussi pour elle que j'ai choisi de rester, pour elle et pour la paix que je ressens avec moi-même quand je suis entourée de tous les abrutis des Roses de Rome. Je veux continuer de m'extasier devant des tableaux dont je ne saisis pas la portée et continuer de voir les grands méchants trembler quand je m'approcherai trop près de leur belle maison.

ANAIDÉIA | LES ROSES DE ROME T.2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant