Chapitre 9.2

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Sharp se tenait là, au milieu de ce foutoir, avec des fleurs en main. Des lys, les fleurs préférées de Penny. Il s'était tendu en voyant la porte s'ouvrir, et quand il me vit, il essaya de reprendre contenance et me tourna le dos pour aller prendre un vase sans un mot, évitant les dessins de son fils au sol. Je bougeais à mon tour et me baissais pour les ramasser et les poser sur le plan de travail avant de poser ma main sur son épaule, la gorge nouée, alors qu'il le remplissait d'eau le vase en y mettant les fleurs.

— Elle me manque, fit-il en coupant l'eau, si doucement que j'aurais pu le manquer.

— À moi aussi, lui avouais-je.

Il me regarda, les yeux humides en hochant la tête avant de se détourner pour poser le vase sur la table qu'il contempla un long moment. Je tâchais de lui donner un minimum d'intimité alors qu'il était perdu dans ses souvenirs, en cherchant moi-même. Automatiquement je remis les dessins sur le frigo, j'en trouvais un que je ne reconnus pas, il était inachevé sur une page de cahier de coloriage arrachée. Comprenant de quoi il s'agissait, mon cœur saigna. Je repris contenance et le montrai à Sharp. Il écarquilla les yeux en le découvrant et le saisit, il ferma les yeux un bref instant avant de le poser sur le frigo.

Il souffla bruyamment en le regardant, puis on échangea un nouveau regard. Il n'avait pas besoin de parler, j'avais compris. J'hochais à nouveau la tête, il s'apprêtait à sortir quand il me dit en désignant du doigt l'ordinateur :

— Je serai en haut ce soir. Au moindre doute, tu sais ce qu'il faudra faire.

Je hochais la tête en guise de réponse avant qu'il ne parte. Je récupérais les affaires de la Frenchie alors que Java entra dans la pièce pour ranger les sacs qui traînaient. Il m'adressa un bref regard chargé de culpabilité qu'il détourna vite, je n'étais pas d'humeur et il en aurait fait les frais rapidement. Je lui fis chauffer une assiette avec de la purée, des petits pois et de la viande qui ressemblait à du poulet pané. C'était pas de la pitié, j'avais juste pas envie de me retrouver à remonter et redescendre les escaliers pour son amusement, même si physiquement je n'avais aucun problème avec les marches, je ne voulais pas lui offrir un nouvel instant de triomphe comme elle l'avait eu. Oui, j'avais bien compris que ça l'avait amusée de me faire redescendre pour ses affaires. Je remontais les marches rapidement et toquais à la porte de la pièce avant d'y rentrer quand je l'entendis m'y inviter. Elle n'avait pas bougé du coin de la commode et de la porte de la salle de bain, se tenant à celle-ci pour ne pas s'effondrer et vu son état elle aurait dû s'asseoir, ce dont je ne me gênais pas de lui faire remarquer.

— Pourquoi tu n'es pas assise ?

— Faudrait savoir, tu me dis de ne pas bouger, Atlas m'a dit que je pouvais faire ce que je voulais dans cette pièce, même le foutre dehors. Après aujourd'hui, je ne sais plus quoi croire.

Elle était pleine d'ironie sans pour autant hausser le ton, ses yeux lancés des éclairs, ce qui m'amusait. On aurait dit un chaton prêt à sortir les griffes.

— Putain, les femmes ! Lançais-je un poil exaspéré.

— Putain, les hommes ! Reprit-elle sur le même ton que moi en s'approchant pour récupérer ses affaires.

Si elle ne m'avait pas répondu, j'aurais eu pitié d'elle et j'aurais fait la moitié du chemin pour lui donner. Mais là, aucune pitié. Elle prit son sac d'affaires en me lançant un regard de défi alors que techniquement je n'étais pas d'humeur, elle n'avait pas peur de moi à cette distance par rapport à tout à l'heure. Elle était minuscule comparée à moi et devait pencher la tête pour me défier avec ses yeux marrons tout en faisant tomber sa longue chevelure brune trempée dans son dos. J'aimais bien la voir comme ça, malgré son état déplorable, elle avait un regard bandant. Putain non, ne pas penser à ça avec elle ! Elle détourna le regard, considérant l'assiette dans un petit sourire.

What a shitty American Trip.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant