Chapitre 14

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L'asphalte ne faisait qu'un avec ma Harley et me voilà sur la route pour ce lieu sinistre. J'appuyais sur les gaz, pas pour me presser d'y arriver mais juste pour que le bruit du moteur et les vibrations entre mes cuisses me vident la tête. Personne n'est jamais pressé d'aller où je me rendais. Il ne voulait pas, mais je lui avais promis. Quand nos parents sont morts, on s'était fait une promesse avec Penny, celle de laisser pourrir leur tombe et de recouvrir la nôtre de vie quand notre temps viendra, au moins une fois par an. J'avais acquiescé car sincèrement, nos parents ne méritaient que ça et que j'aimais bien l'idée qu'elle vienne me voir une fois par an. Jamais je n'avais imaginé que ça serait moi qui devrait tenir cette promesse. Jamais je n'avais imaginé devoir acheter des fleurs pour rendre sa tombe plus vivante. Putain.

Je me rendis chez la fleuriste du coin, elle nous connaissait bien car Penny y allait toutes les semaines pour prendre des fleurs, pour leur maison. Plus maintenant, plus aucune fleur, plus aucune maison à trouver, plus aucun rire à venir. Comme à son habitude, la fille derrière le comptoir me sourit en minaudant un peu. Comment elle s'appellait déjà ? Ashley ? Ridley ? Je ne m'en souvenais pas. La seule chose que je me rappelais c'était qu'elle était devenue une amie de Penny, elle était même venue à ses obsèques tout en restant dans son coin avant de partir.

— Je peux vous demander quelque chose, finit-elle par bafouiller en me tendant le bouquet de fleurs qu'elle venait de réaliser pour moi, des lys surtout, pourtant je ne lui avais rien demandé. Je haussais un sourcil, surpris qu'elle finisse par m'adresser la parole. Tout à l'heure, Dyclan est passé avec son père... Même si j'étais contente de le revoir, je l'ai trouvé si... éteint par rapport à d'habitude, que je n'ai pas osé lui demander, ni à l'un ni à l'autre d'ailleurs. Vous... vous pourrez lui souhaiter un bon anniversaire de ma part ?

Sa demande me surprit, Penny avait conservé un jardin secret même en habitant dans le MC, je ne pensais pas que son amitié avec Kailey ? l'avait amenée à la voir régulièrement avec Dyclan. Je hochais simplement la tête.

Je regardais le bouquet, elle l'avait enveloppé dans un film plastique pour le protéger. Je pris mon cash dans la poche arrière de mon pantalon mais elle refusa.

— Penny était une de mes seules amies dans cette ville, j'essaie d'avoir toujours des lys pour elle, c'est la seule chose qui me reste d'elle.

Une boule se forma dans ma gorge. Je la saluais, avant de partir, étonné de cet étrange échange avec cette fille sans nom. Je repris mon bébé pour me rendre dans le seul cimetière de la ville.

Je traversais les tombes sans les voir, jusqu'à prendre l'allée où elle se trouvait. Je restais planté là face au granit, face à son nom, incapable de trouver les mots. Je n'avais jamais été doué pour ça, mais avec elle, ça n'avait pas d'importance.

— Bonjour petite sœur.

Ces mots résonnèrent en moi en un puissant écho de souvenirs partagés avec elle. Je me mis une claque mentale en esquissant un vague sourire, elle n'aurait pas voulu que je m'apitoie.

>> Je suis désolé, j'ai échoué... et il a recommencé à cause de moi. Il la laissait en vie, on ne sait pas pourquoi, mais c'est une bonne chose qu'elle vive, pas vrai ? Elle est au MC en ce moment, avec tout le monde. Dyclan l'écoute plus que nous... je crois, je crois que tu l'aurais appréciée, c'est une chieuse, comme toi, elle, elle est...

Je me perdis dans mes pensées consacrées à elle. Frenchie. Méli. J'avais longtemps hésité à la faire venir avec moi, mais elle n'était pas en état et moi, je ne voulais pas partager ce moment avec quelqu'un. Pas même Sharp. J'étais présent contre sa volonté. Ce matin, il m'avait interdit de venir. Pas avant lui en tout cas, mais elle, elle m'avait poussé à venir. Putain d'intelligente. Les mots me manquaient autant qu'elle chamboulait mes habitudes.

>> Enfin de là où tu es, tu sais.

>> On connaissait les risques de cette vie, tous les deux, mais je ne pensais pas que... tu finirais comme ça, ça n'aurait pas dû. Je pensais partir avant toi et toi, tu aurais raconté à Dyclan et à tes autres enfants quel connard j'aurais pu être, mais ce n'est pas le cas, pas vrai ?

Mes pensées vagabondèrent à nouveau. Décidément, cette vie n'était pour personne, pas même ceux qui l'avait choisie. Elle leur rendait de cette manière-là, un bloc de granit avec une date de début et de fin. Rien de plus. Et pourtant, pour rien au monde je n'en changerai. Je me raclais la gorge avant de reprendre.

>> Ta copine fleuriste te souhaite un bon anniversaire.

Je me mis accroupi pour poser mon bouquet au milieu des fleurs qui recouvraient déjà sa tombe.

— Bon anniversaire, petite sœur, tu nous manques.

What a shitty American Trip.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant