Chapitre 15

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J'observais la petite cour par la fenêtre de la cuisine. Il y avait un bordel fabuleux qui respirait la joie de vivre et ça me prit à la gorge. Ils avaient fait une grande table où tout le monde était assis de part et d'autre. Tout le monde ou presque. De là où je me tenais, impossible de voir Bear, Sharp, Annie, Kate, Dyclan et Frenchie. Je détournais le regard, pour observer la cuisine. Le bouquet de lys présent sur la table commençait à faner. Penny réussissait toujours à les garder en état plus d'une semaine. Je ramassais le pétale tombait sur la table pour le glisser dans ma poche. Il était temps de quitter ce silence de mort qui rendait la pièce oppressante pour aller les rejoindre.

La soirée était légèrement fraîche, mais ça allait encore, tant que la nuit n'était pas tombée. Ils avaient allumé un barbecue contre le mur du bar, et Piston et Bear s'occupaient de faire cuire la viande. Non loin d'eux, il y avait ceux que je n'avais pas réussi à voir par la fenêtre qui s'étaient attroupés, étonnant de les voir là plutôt qu'à table. Ils rigolaient et s'amusaient, même Sharp avait un sourire sur les lèvres en parlant avec eux. En m'approchant, je découvris Dyclan recouvert de tâches de peinture multicolore, Frenchie et Annie n'étaient pas mieux que lui. Le petit riait alors qu'Annie essayait de lui essuyer le visage, lui ajoutant plus de peinture qu'autre chose. Un sourire se ficha sur mes lèvres de les voir ainsi.

— Tu leur as trouvé une toile ? Demandais-je à Sharp en m'approchant d'eux.

— Non, mais ça ne l'a pas arrêtée pour autant, répondit-il en se décalant sur le côté pour me laisser voir dans sa totalité la toile posée contre le mur.

Quatre bouts de bois qui tenaient des feuilles collées entre elles par je ne sais quel moyen. Les proportions étaient gigantesques, plus haut que moi et aussi large que Bear. Le dessin en lui-même était un foutoir sans nom. Au-dessus d'une forme marron qui prenait le tiers inférieur de la toile, se trouvait des cercles de main apposés les uns sur les autres, rendant la lisibilité de la chose totalement impossible.

Je me tournais vers Frenchie qui était visiblement l'instigatrice de tout ça pour lui demander :

— C'est censé représenter quelque chose en particulier ?

Elle esquissa un sourire un peu plus grand, tant bien qu'elle le pût malgré ses blessures. Son regard rencontra le mien, et s'y accrocha, je m'y perdis un millième de seconde avant de détourner les yeux pleins de culpabilité.

— Des fleurs. Petit Chef s'est bien amusé à le faire avec tout le monde. Il ne manquait plus que vous deux, répondit-elle en s'approchant avec deux assiettes remplies de peinture. Désolée, ce sont les seules couleurs qui restent.

Elle s'adressait aussi bien à Sharp qu'à moi. Sharp la dévisagea après avoir jeté un regard peu enjoué vers la peinture.

— Tu veux que je mette ma main là-dedans ? Finit-il par lui demander acerbe, pour la mettre mal à l'aise.

— Tu veux que Petit Chef te montre comment faire peut-être ?

Elle avait répondu sur le même ton que lui ce qui me fit sourire. Décidément, les deux n'avaient pas fini de faire des étincelles.

— Pourquoi pas ? Demanda Sharp en se tournant vers ce dernier.

Malheureusement, le petit secoua la tête et se cacha derrière Annie. Sharp se renfrogna et but une gorgée dans son verre. Je le regardais sombrement. Sharp buvait. Assez fréquemment depuis deux mois, moi aussi sûrement. On devait se ressaisir, mais pas ce soir, c'était impossible que je lui demande ça ce soir. Il surprit mon regard désapprobateur et me rendit ce regard de glace, morne, toujours désespéré.

— Alors tu choisis au moins quelle couleur il va utiliser, trancha-t-elle intransigeante. Mon neveu essaya de protester en la défiant du regard, mais un froncement de sourcil suffit pour qu'il lui obéisse docilement et il désigna l'assiette remplie de peinture grise, me laissant l'assiette de peinture orange.

— Allez Sharp, trouve-toi une place sur la peinture, qu'on puisse manger après. J'ai faim moi, l'encouragea Bear.

Toujours aussi déçu, Sharp fit quand même ce qu'on lui demanda. Il trempa sa main dans la peinture et commença à former un cercle en posant sa main, une, deux, trois fois sur la toile avec beaucoup de précaution. Frenchie s'approcha de lui pour qu'il puisse réencrer sa main.

— Des fleurs, hein ? Demanda-t-il en retournant à la toile.

— Je ne sais pas bien dessiner et personne n'avait de meilleures idées à proposer.

— Et la toile ?

— Papier et adhésif, beaucoup.

— Désolé de ne pas avoir pu l'acheter, commenta-t-il en essuyant sa main à l'aide d'un torchon que lui tendait Annie.

— C'est tant mieux Atlas, c'était encore plus marrant comme ça, fit-elle en un clin d'œil pour Dyclan.

Il hocha la tête et se plaça sur le côté sans admirer l'œuvre.

— A toi Phénix, m'ordonna-t-il simplement.

Je m'avançais à mon tour et pris le temps d'observer la toile. Le cadre avait été posé à l'envers et c'était l'intérieur qui était peint. Frenchie s'approcha de moi et me tendit l'assiette pour que je puisse lui y plonger la main.

— On a fait comme on a pu, fit-elle dans un sourire d'excuse en désignant le cadre.

— Tu n'as pas intérêt à critiquer leur travail Phénix, m'avertit la voix de Kate à côté de nous.

— Je n'y comptais pas Kate, répondis-je dans un sourire indulgent vers la femme de notre VP. Ça ne semblait pas être un bon jour pour elle. Elle était assise sur une chaise, sa bouteille d'oxygène à ses côtés, un sourire sur son visage fatigué sur son visage pâle alors que le foulard qu'elle portait aujourd'hui pour cacher son crâne rasé suite à la chimio était de couleur criarde, rendant le contraste poignant de la dure réalité de la mort à venir.

Sous son regard autoritaire, je fis comme Sharp et sûrement tous les autres, je fis une foutue fleur sur cette toile pour faire plaisir à Dyclan.

Je replongeais la main dans la peinture et remarquais qu'elle tremblait légèrement. Je plongeais mes yeux dans les siens et comme depuis que j'étais à côté d'elle mon corps s'électrisa. Putain de merde, c'était incroyable ce que cette fille me faisait. Elle leva un sourcil interrogateur en remarquant sûrement une marque sur mon visage. Elle fit un aller-retour entre moi et Sharp. Elle pinça ses lèvres dans une moue désapprobative, et je lui offris un petit haussement d'épaule pour tout commentaire auquel elle répondit en niant de la tête, clairement mécontente. Sa réaction me fit sourire, mais je continuais la peinture plutôt que tout le reste.

— Bon, si tout le monde a fini, on peut passer à table maintenant, proposa Bear en me voyant essuyer les mains sur le même chiffon que Sharp.

What a shitty American Trip.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant